Suicide collectif à Ouest-France

Publié par lalettrealulu le

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« Un grand silence pour répondre à un grand mépris » : l’association des journalistes d’Ouest France et la section CFDT du quotidien ont décidé de se saborder.

« Messieurs les étouffeurs, bonsoir ! Vous allez pouvoir — presque — soliloquer, vous partager dans l’allégresse et avec cette violence douce qui n’appartient qu’à vous, les postes clé, les grosses autos de fonction et les diplômes de vertu. » Rien ne va plus au temple de la morale, des bons sentiments et de la justice divine. Les soutiers de l’information, ces journalistes qui confectionnent chaque jour les trente-huit éditions du plus grand quotidien français, ont décidé de se fendre d’un spectaculaire bras d’honneur à l’égard de leur direction. Coup sur coup, l’association des journalistes et la CFDT viennent de se saborder, écœurées par le « degré zéro du débat, le dialogue social encalminé, la confiance gâchée et la destabilisation insidieuse.« 

Il n’est pas même utile d’en rajouter une couche pour mesurer l’état des relations à l’intérieur du journal, tant les communiqués des journalistes sont explicites. Tout juste est-il utile de préciser que les responsables de l’association des journalistes, créée en 1995, et forte de 210 adhérents, ont été punis, mutés, humiliés pour avoir osé dire tout haut ce que la rédaction pensait tout bas. Voici quelques morceaux choisis, extraits des textes originaux qui ont accompagné ces deux sabordages.

La CFDT tire sa révérence

« Il n’y a plus de candidat pour devenir paratonnerre des foudres présidentielles, s’investir (à sa manière) dans l’entreprise et endosser le statut indigne du gêneur ou, pire, de l’ennemi de l’intérieur, condamné à une carrière punie. Ces dernières années, plusieurs confrères et consœurs ont vu leur souci du collectif facturé en déconvenue personnelle. La lutte des classes débouche sur la lutte des places. Les turbulents sont invités à la reptation, les originaux à la pensée unique, les faiseurs de vagues au calme raplapla. C’est triste mais c’est ainsi : entre la soumission, la peur ou l’abandon, le choix n’était pas folichon. Qu’on nous pardonne donc cette ultime concession au libéralisme triomphant : nous ne faisons qu’adapter notre demande de dialogue social à l’offre patronale. Il n’y a plus de marché. »

Les journalistes associés enfoncent le clou

« Le respect des importants, le ratatinement sur l’unique pensée, cette manie indécente de transformer les salariés en charges et en coûts, les mauvais coups à l’égard de certains d’entre nous, le non-dit érigé en habitude, la réduction de la toile, les plantages historiques, les oukases qui dégringolent sans une esquisse de discussion risquent de porter leurs fruits. Des lecteurs nous quittent. Il faudra bien que l’on en parle un jour, de ces gens ordinaires qui sont notre gagne-pain, notre raison d’être, notre souci. Ils ne sont pas dupes, ils voient bien qu’on leur réduit, affadit, droitise leur bonheur du jour (…) Laissons le pouvoir sur sa banquise avec quelques pingouins pas fiers (idéale petite bête en uniforme qui applaudit tout le temps). Nous entrons dans l’état de glace. »

C’est Dédé ! La mitraillette à contrats s’est enrayée

Un journaliste au rabais d’Ouest France relevé de ses fonctions précaires. Refusant un pont d’or pour se taire et disparaître de l’effectif en abandonnant tout recours en justice, le journaliste Jacques Le Brigand, employé par une succession de CDD depuis septembre 94 a obtenu aux Prud’hommes la condamnation d’Ouest France et sa titularisation. Sa ribambelle de contrats à durée déterminée est requalifiée rétroactivement en un contrat permanent. OF a tenté sans succès de plaider que ce salarié à répétition n’était qu’un bouche-trou. Payés au rabais par rapport aux journalistes maison, ces vacataires* employés en CDD font bel et bien partie de l’effectif structurel. Si la « une » proclame chaque matin « Justice et Liberté », Ouest France, condamné par la justice, a préféré user de sa liberté de licencier le nouvel embauché.

* 150 journalistes vacataires pour 370 titulaires.