Domestiques sur un plateau
Bout du fil
Il faut savoir lâcher un peu de blé pour appâter les réticents. Ou comment faire marner des domestiques à coups de fil.
Bienfaitrice de l’humanité, entreprise érigeant la philantropie au rang de valeur cotable en bourse, la Lyonnaise des Eaux s’intéresse aux petits boulots. Au point de monter à Nantes, avec le District et la Caisse des dépôts et consignations, une plate-forme téléphonique dénommée « City-services », pour relier offre et demande de ménage, repassage, jardinage, garde d’enfants, livraisons de courses, menu bricolage domestique. Autant de services à domicile proposés par des associations d’insertion, mais aussi, depuis janvier 96, par des sociétés privées. Vice président du CNPF, le Nantais Georges Drouin a mené une étude sur ce marché pressenti comme juteux une fois que le libéralisme forcené aura fait le ménage des bons sentiments. Le n° 2 des patrons estime le fromage à 35 milliards de francs pour la France ! Rien moins. Lancée à Nantes à la mi mai, l’idée de cette plate-forme s’est heurtée à une forte opposition des associations intermédiaires et d’insertion, qui craignent d’être réduites à des pourvoyeurs de main d’œuvre, agences d’intérim au rabais.
Une carotte d’1,6 MF
Pour allécher les associations réfractaires, le premier adjoint nantais Patrick Mareschal leur a écrit le 1er septembre en brandissant une grosse carotte qui a tout l’air d’une grosse ficelle : un peu moins de 27% des 6 MF du fonds social européen capté pour cette opération jusqu’en 1999 pourrait revenir aux associations pour la formation de leurs ouailles. « C’est pas une petite affaire », dit-on à la Lyonnaise. Effectivement : 3 MF apportés par la Lyonnaise et la Caisse des dépôts pour la plate-forme téléphonique employant cinq personnes, un directeur et une chargée de mission. Plus les 6 MF (un million d’écus) tombant de Bruxelles, ça fait une belle somme.
Initialement fixée au 1er septembre, la mise en service du plateau a été reportée de deux mois. Outre les associations qui traînent les pieds, certains socialistes nantais sont très réticents, alors que la CFDT et l’Acener qui regroupe les comités d’entreprises, ont pris leurs distances avec le projet. Nombreux craignent le développement d’une nouvelle domesticité pour classes moyennes, sans convention collective garantissant les droits des salariés. Et comment passer de l’emploi en miettes d’heures à une réelle professionnalisation du secteur ? Après les nouveaux pauvres, les nouveaux domestiques…
* En Maine-et-Loire, mais sans opérateur capitaliste, une plate-forme similaire réunit associations, syndicats, mutuelles. Cet outil se préoccupe du respect des conventions collectives, pour le client comme pour le salarié.