Le placement mis en pièces

Publié par lalettrealulu le

Compte poires

Le filon en or était creux. Des gogos pleins au as, dont certains patrons naïfs, ont été soigneusement dépouillés. Les plumeurs passent fin mars en correctionnelle. Ce qui n’arrange pas les plus gros plumés.

La boutique promettait des dividendes mirobolants. À La Roche-sur-Yon, le Covemep, Comptoir vendéen des métaux précieux, avait une formule plus que douteuse. Contre versements discrets, histoire de gruger le fisc sans traces, des particuliers recevaient en garantie des pièces d’or de collection largement surestimées, et parfois des lingots contre du liquide, cent à trois cent mille francs glissés en douce contre des bordereaux anonymes. Jean-Louis Fournier, gérant de la boutique et banquier marron de fait, faisait miroiter des gains monstres : 60% par an ! Un placement sans précédent. Enfin, sans précédent honnête. Jouant sur l’effet boule de neige, l’officine ne pouvait matériellement rembourser ses clients. Qui a pu gober la promesse de tels profits ? L’enquête a recensé deux cent neuf gogos, de Vendée et alentours, recrutés de bouche à oreille dans la bourgeoisie locale, tous alléchés par l’appât du gain, facile et discret. Des petites gens, instits, retraités, et même une ouvrière chez Esswein y ont englouti leurs tirelires. Mais surtout des professions libérales, artisans et commerçants, ainsi qu’un ancien directeur de banque, trois patrons vendéens de la distribution, dont Bernard Vinet qui tient le pompon : à la tête de surpermarchés à Brem-sur-mer et Brétignolles, il a englouti 11 MF en pompant les comptes de ses sociétés. Il a aussi amené dans ce foireux circuit une de ses relations : Jean-Paul Dubreuil, patron de Régional Airlines, qui dit n’avoir placé qu’un million de francs, juste trois jours : « Sur le conseil de mes banquiers, j’ai senti le piège et obtenu le remboursement immédiat. Je ne m’estime pas lésé » dit-il. Préjudice zéro, bien joué coco.

La plupart des patrons identifiés dans la procédure font le gros dos, s’asseoient sur leur perte, espérant échapper au fisc avant ou après le procès prévu les 30 et 31 mars. « Tout est réglé par ailleurs », lâche, gêné, Jean Routhiau qui y a laissé 2,3 MF : le big boss à Saintt-Fulgent d’une société de transformation de poulets ne tient pas à avouer comment il s’est fait plumer.

La fuite en avant a logiquement obligé le comptoir à des opérations de cavalerie, pour reverser les premiers intérêts en piochant dans les nouvelles rentrées d’argent. Suicidaire. Mais la chute est venue des rivaux. Les vrais banquiers du coin ont cafté cette concurrence déloyale à la Banque de France et son gendarme, la Commission bancaire*. La justice est prévenue en avril 1993. Jean Genty, le procureur de La Roche à l’époque, se dépêche de ne pas bouger, ne lance aucune enquête. Il faudra plus d’un an pour déclencher une descente de police, fin mai 1994. « Quand ils font leur rapport au procureur, les policiers ont le sentiment de ne rien lui apprendre » raconte un proche du dossier. Dossier que suivra le procureur en personne, lui qui ne prend pratiquement jamais d’affaire. Entre le premier signalement et le début des poursuites, l’essentiel de la comptabilité s’est évaporé… Des esprits très chagrins y verraient une occasion pour quelques noms importants de se mettre aux abonnés absents de la liste des clients. Gros ou petits, tous les pigeons restants, sorte de complices ratissés, ont perdu 64 MF. A ces victimes de l’escroquerie, il ne reste qu’à faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Les proverbes, ça ne coûte rien.

* L’équivalent de la COB pour les banques.