Des reprises cousues de fil blanc
Réincarnation
Le miracle économique vendéen a un secret : l’agilité entrepreneuriale.
Un genre de flexibilité pour patrons futés.
Salement rivalisée par l’Asie, la confection made in France a bien du souci. Pour résister, les patrons de chez nous jonglent, et brandissent les petites mains sous leur coupe pour décrocher toutes les subventions et aides publiques. Exemple : en 1993, le groupe Albert SA démantèle sa production, et vend ses ateliers à Beaurepaire, Le Poiré, Rocheservière et Belleville-sur-Vie, à un certain Jeanny Marcillet qui forme aussitôt quatre sociétés étanches. Histoire d’éviter un comité d’entreprise sur le site le moins docile. Marcillet, à qui Albert a garanti cinq ans de sous-traitance, touche les aides de l’État et fait venir Nicolaas Leliveld comme directeur général. Pour le redémarrage, il capte une aide d’1,5 MF afin d’effectuer une formation pompeusement intitulée « préparation du personnel à l’organisation et à la gestion des groupes autonomes certifiés », en fait complètement bidon. Les 184 heures de formation prévues par salarié, sont réduites à deux petits jours de vague briefing et de jeux logiques. Pas question de ralentir plus la production. Avertis par des employées de la supercherie, la Préfecture et l’AFPA qui chapeaute ces formations n’ont pas bronché…
En 1997, Marcillet coule. Le matin en cessation de paiement, l’après-midi en liquidation judiciaire avec poursuite de l’activité. Arrive Leliveld, qui tombe son costume de directeur général pour endosser celui de repreneur providentiel, rachète en mars 1998 deux des trois ateliers pour le franc symbolique, et le matériel pour 250 000 F, moins de la moitié de la valeur officiellement estimée. Le tribunal de commerce fait un autre cadeau, plutôt rare : « l’abandon du compte client au repreneur ». Les dernières collections venant d’être livrées, n’ont pas été payées par les clients. Leliveld touchera l’argent dû à son prédécesseur.
L’art de la renaissance. Leliveld crée la SARL Belleville Vendée Confection, réembauche les salariées, gommant au passage toute ancienneté des petites mains qui ont vingt à trente ans de confection dans le même atelier sous des intitulés de sociétés différentes. Trois cousettes sont écartées, dont ‑pur hasard…- la déléguée syndicale CFDT. L’affaire parait si louche que le procureur de la République fait appel de la décision du tribunal de commerce permettant la passation de pouvoir en apurant opportunément le passif. Leliveld quémande pourtant des aides auprès du cabinet du ministre du travail Martine Aubry. La méthode s’inspire du racket grossier : sans subventions, 250 employés seront licenciés, ce qui coûtera 20 MF à la collectivité, menace le brave sauveteur.
Les boîtes bancales, qu’on rachète avec l’argent public pour les presser jusqu’au trognon, c’est un must, dans le métier. Au même moment, aux Herbiers, Bernard Bienaimé, le Pdg d’Albert SA pratique le même sport en mendiant des prêts et des « avances conditionnées » au Comité interministériel des restructurations industrielles, pour reprendre une autre boîte en liquidation, MCV, alias Manufacture corrézienne de vêtement*, 125 salariés à Bort-les-Orgues, en Corrèze, avec une charge de travail garantie qui ressemble étrangement à celle déjà promise à Marcillet SA. Le big boss d’Albert a trouvé un allié de poids sur place, le député de Tulle, un certain François Hollande : le n°1 du PS a obtenu de l’Etat-providence 20 MF d’aides, beaucoup plus que ce qu’avait demandé le Pdg d’Albert. Motivé par ce magot, le boss du prêt-à-porter a raclé ses fonds de poches pour miser 2 MF. Pas un sou de plus. La vie est dure. Mais rien ne vaut un bon chasseur de prime pour chasser la déprime sociale.
* Le journal La Montagne rappelle le 22 février 98 que l’entreprise MCV a déjà « englouti 100 MF de fonds publics en quelques années ».
Lire aussi : Sous la coupe du patron sur mesures