Les petits frères kleenex

Publié par lalettrealulu le

Et ta sœur

Pour quelques arpents de terrain constructibles, les bonnes sœurs de Saint-Gildas-des-Bois font quelques entorses à l’amour du prochain.

On devrait laisser mourir les vieux à la naissance. Sinon, il faut les supporter. Et ça, c’est vite insupportable. Surtout quand ils ne servent plus et ne veulent pas céder leur terrain. À Saint-Gildas-des-Bois, c’est la chamaille entre frères et sœurs de la Saint- Famille. L’affaire, dit-on, serait remontée jusqu’au Vatican.

Créée en 1835, la congrégation des Frères de Saint-Gildas a été recrutée pour être au service de l’ordre hospitalier des sœurs. En 1900, ils sont 55 cultivateurs, menuisiers, forgerons, boulangers, bouchers assurant l’intendance de 800 religieuses. Ces petits frères à tout faire ne sont plus qu’onze survivants. Septuagénaires. Donc plus corvéables. Ils avaient douze ou quatorze ans quand ils sont entrés ici, avec une instruction sommaire, pour faire de bons serviteurs. Aujourd’hui, les sœurs, appuyées par l’évêque, lorgnent sur les terrains qui appartiennent à la communauté des derniers frères ouvriers, pour l’extension de la maison de retraite, communale mais depuis toujours administrée par une des sœurs. Le 20 juin dernier, Mgr Soubrier a autorisé l’étude d’agrandissement, en ne consultant que trois des frères, ceux qui n’ont pas renoncé à leur vœux de religieux. « C’est pourtant le bien public contre l’intérêt privé des frères », regrette la Supérieure de l’ordre des femmes. Les frères irréductibles résistent, refusent de dégager d’office à l’hospice pour laisser le bon béton prendre leur place. Pas question de se laisser amadouer par l’émissaire épiscopal chargé de les faire fléchir. « On n’est pas des rampants. Qu’on nous laisse crever en paix après trente ans de servilité au service des sœurs ». Écœurés, tous – sauf un – ont renoncé à prier le bon dieu. Tous les vicaires généraux chargés du dossier se défilent quand on les interroge : « Moins on en parle, mieux ça sera », lâche l’avant-dernier, le vicaire Le Paroux.

Les sœurs nourrissent toujours les vieux frères, comme le prévoit la convention signée par l’évêque de Nantes en 1956, mais ne les habillent plus. Ils doivent chiner quelques nippes hors de taille auprès des familles du village. L’annuaire du diocèse leur fait l’affront d’inventorier leur communauté au Drény, là où sont basés deux renégats, des petits jeunes quinquagénaires dont l’un a été condamné à quatre mois ferme en mai 1990 pour outrage public à la pudeur.

Alors que ces deux bons moutons reçoivent un indemnité de 4000 F par mois, les brebis galeuses sont moins bien traitées. Le versement des retraites qu’ils devraient percevoir est transformé en argent de poche à la discrétion des religieuses. Tellement discret que certains ne perçoivent rien du tout. Les déclarations d’impôts sont remplies et signées par les sœurs, qui captent aussi au passage les remboursements de soins et de mutuelles. Le courrier est ouvert avant d’être remis. La mère supérieure fait administrer les comptes de ces inférieurs par la sœur économe : « Les frères seraient incapables de gérer ça ». Ils ne touchent pas leur pension, mais mère sup en donne une bonne raison : ces hommes leur coûtent plus cher en cotisations et frais médicaux qu’ils ne rapportent en menues retraites, remboursements de Sécu et de mutuelles. Ça s’appelle un différentiel entre charges et recettes. Bref, plus ces vieux tétus s’avisent de vivre vieux, plus cette obstination plombe le budget des religieuses. Contre ces boulets, une seule solution, le droit canon à bout portant.