La droite fait des yeux de Breizh
Loire-inférieure Atao
Anne, ma sœur Anne, voit un drôle de truc venir : la droite ressort le Gwen ha du et investit de tous côtés le champ de l’identité bretonne, dans la foulée de quelques allumés d’extrême-droite, chantres de la reconquête de l’Europe par les régions historiques.
Le 6 mars aura lieu à Nantes une manifestation pour la réunification administrative de la Bretagne. Nul doute que cette procession festive, portée par le renouveau du sentiment identitaire breton, rassemblera son pesant de manifestants, ne serait-ce que pour réaffirmer la défiance d’une ville volontiers frondeuse à l’égard de l’État jacobin. Mais cette manif prend cette année une dimension particulière, alors que le patronat et la droite bretonne lancent une offensive tous azimuts sur la Bretagne éternelle. Une étrange OPA, à laquelle se trouvent associés, volontairement ou à l’insu de leur plein gré, la quasi-totalité des mouvements régionalistes.
Rubik’s Cuab
La manif du 6 mars est organisée par le comité pour l’unité administrative de la Bretagne. Le CUAB, sorte de fédération d’associations, fait cohabiter deux grandes tendances : l’UDB (Union démocratique bretonne), plutôt classée à gauche, et le POBL (Parti pour l’organisation d’une Bretagne libre), un parti sans réel ancrage politique, qui se veut respectable mais ne se gène pas pour distribuer sur ses stands des recueils de poèmes d’Olivier Mordrel, un partisan de l’engagement breton aux côtés du Reich pendant la dernière guerre. L’un des derniers présidents du CUAB, Jean Cevaër, ancien cadre d’une compagnie pétrolière et anti-communiste farouche, est issu du POBL. Cette configuration, qui respecte un certain équilibre politique ne serait, somme toute, guère inquiétante si elle ne s’inscrivait dans une perspective plus large.
Le POBL dresse actuellement des ponts avec le patronat breton, regroupé au sein du Club des Trente et de l’institut de Locarn, basé comme son nom l’indique à Locarn (Côtes d’Armor). Ce club très privé, fondé par Joseph Le Bihan – un intellectuel lié à l’Opus Dei, partisan d’une nouvelle évangélisation de l’Occident – et financé par une poignée de grands patrons bretons, se veut un laboratoire de réflexion sur les nouveaux territoires qui composent l’Europe. « Implicitement, mais violemment anti-républicaines, leurs thèses reposent sur une vision ethno-différentialiste de l’histoire qui voit dans la compétition économique une guerre des cultures » relevait au printemps dernier la revue Golias, animée par des catholiques de gauche. Aussi extrêmiste soit-il, Le Bihan ne semble pas effrayer ses adversaires politiques, à l’image de Patrick Mareschal, premier adjoint au maire de Nantes et familier des lieux. Selon Mareschal, s’il existe un risque réel de « dérives ethnocentristes » et si le piège d’un « romantisme d’extrême-droite » reste ouvert, le Locarn est surtout un regroupement d’acteurs économiques « qui se disent que les facteurs identitaires sont importants. »
Jacobins d’abord
Patrick Mareschal, premier président du CUAB, partage avec les militants régionalistes de tous bords l’idée que « le sentiment identitaire joue un rôle dans l’autodéveloppement » et n’hésite pas à faire le procès de la gauche jacobine, qui a certes pris les villes bretonnes ces dernières années, mais a déçu les Bretons depuis la décentralisation en refusant tant de signer la charte européennes des langues régionales que d’intégrer les écoles Diwan dans l’Éducation nationale. Sur ce registre, la droite est justement en train de régler ses bombardes, en tentant de récupérer l’engouement pour la culture celtique. En Bretagne administrative c’est le nouveau vice-président du conseil régional chargé des affaires culturelles, Jean-Yves Cozan, qui brandit le Gwenn ha du, en multipliant les crédits aux associations culturelles, aux musiciens et aux cinéastes bretons.
Récents convertis
L’offensive gagne aussi le terrain des médias, avec Patrick Le Lay, PDG de TF1 et membre du Locarn, qui prépare Télé Breizh, une télé privée qui émettra sur les cinq départements et installera des studios sur Nantes. Qu’importe que cette télé ne soit pas une télé en breton, à l’exception de quelques émissions aux heures creuses, la plupart des mouvements bretons applaudissent des deux mains, à l’exception notable d’Emgann*, qui vient d’ailleurs de quitter le CUAB. Pour créer son canard, le Nouvel Ouest, magazine ramasse-pub et très marqué à droite, Louboutin, défenseur de la Bretagne par conversion très récente, s’est appuyé sur le gratin du patronat breton, qui se réinvestit lui aussi dans sa région d’origine, à l’image de François Pinault, grand ami de Chirac et nouveau mécène du stade rennais.
« La droite s’est toujours intéressée à l’identité bretonne, tempère Jean-Louis Jossic, chanteur de Tri Yann et conseiller municipal PS de Nantes, et elle a une longueur d’avance sur la gauche, qui, après avoir su mettre un terme à la guerre scolaire, est restée très parano sur l’identité nationale. » Le chanteur municipal considère que le discours de la droite est cohérent lorsqu’il affirme que l’Europe se construira sur des régions authentiques, mais il ne cache pas son inquiétude devant l’apparition ces derniers temps aux concerts de Tri Yann, de quelques hurluberlus tendance crânes rasés et sensibles à une réthorique ultra-simpliste du style « notre identité est belle parce qu’elle résiste aux métèques. » C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Front National a tenté de récupérer la Blanche Hermine, au grand dam de son compositeur Gilles Servat.
Récupération soft par la droite modérée ? Tentative plus perverse de l’extrême-droite ? Opportunisme des milieux économiques bretons ? Il semble en fait que les trois scénarios se chevauchent. Une chose est sûre, seule la gauche est aujourd’hui absente du terrain de l’identité. Comment dit-on les absents ont toujours tort en breton ?
* Mouvement autonomiste d’extrême-gauche