La proie pour l’ombre

Publié par lalettrealulu le

Vingt années durant, quasiment, je me vis tamponné, vacciné, étiqueté, immatriculé ; dans un souci de bon fonctionnement, puisque d’homme, j’étais devenu chose. Quoi que je fasse, où que j’aille, j’étais sous un numéro, un nom oublié. 505107 ! 189174 ! 7432 ! 489 ! 2475 !…
Et ça continue ! Sauf que cette fois, de sous un numéro me voilà dans un numéro ; et un bon numéro, ma foi : le 22 de La Lettre à Lulu… 22 ! Me v’là !

Mercredi 13 janvier 1999, 3e chambre correctionnelle, Nantes.

Patrick avait deux mains, la droite et la gauche, dont il se servait tant bien que mal, souvent mal du reste, et presque toujours dans l’illégalité. Une bouche qui niait le tout et, surtout, des oreilles qui fonctionnaient parfaitement, en plus de deux yeux qui voyaient…

Le président présidait comme il savait le faire, avec une petite pointe de mépris pour le droit, ce qui le conduisit à communiquer la teneur de la condamnation avant qu’elle ne fût prononcée officiellement par lui, en particulier aux pandores de service, manœuvre formellement interdite, secret de la délibération oblige…

C’est donc sans la moindre difficulté que Patrick entendit d’abord arriver une demi-douzaine de bleus et leurs chaussettes à clous, qu’il perçut le bruit des menottes que tenaient déjà leurs grosses mimines, puis qu’il vit les signes grossiers de connivence échangés quant au bon tour qu’on allait lui jouer… Dès que la peine qu’on lui avait déjà infligée serait publiquement annoncée, en plein accord avec la loi, cette fois.

Seulement, récidiviste impénitent, Patrick possédait également, en plus des organes déjà décrits, deux jambes avec deux pieds au bout. La conjonction de tous ces avantages fit qu’il les prit à son cou comme s’il avait le feu au cul – car il en avait un aussi – sans qu’il ait pu entendre qu’il aurait dû se diriger vers la maison d’arrêt pour une durée de quatre ans, plutôt que de prendre une direction opposée et inconnue de tous. Patrick avait du nez.

Qui de ranger ses cadènes, qui ses réquisitions, qui son mandat de dépôt ; et chacun de se jurer qu’on ne l’y prendrait plus…

Dura lex, sed lex ! Sacré Patrick, va !

Georges Courtois