Marcel Albert, un patron habillé de frais

Publié par lalettrealulu le

Tissu de secours

Avant de partir, Marcel Albert a étoffé son magot. Et s’est fait rembourser vins fins, parfums, billets d’avions, restaurants, cadeaux de Noël sur le dos de l’entreprise.

Il a l’étoffe des zéros, alignés trois par trois, prêts à bondir sur ses comptes. Alors forcément, quand la société qu’il a créée et quittée va mal, Marcel Albert n’hésite pas à claironner qu’il volerait volontiers au secours de l’entreprise en « mettant la main au pot ». Maire des Herbiers, fondateur de la société de confection qui porte toujours son nom après qu’il l’ait avantageusement cédée, il n’hésite pas à proférer un tissu de condoléances devant la panade où a dégringolé « Albert Société Anonyme »*, qui se cherche un repreneur après un pitoyable dépot de bilan fin janvier 1999 et près de 50 MF de perte d’exploitation à la fin 98. Ces larmes de crocodile de l’ex-dirigeant occultent pourtant les conditions de sa sortie du groupe. Avant la chute de l’empire qui a eu jusqu’à 1200 salariés, filiales étrangères comprises, l’empereur vendéen du textile s’est bien servi au passage. A partir de 1994, Marcel n’est plus pédégé, il a récupéré son capital, mais il a en plus négocié un contrat royal, garanti pour trois ans. « Normal, j’ai accompagné la direction de l’entreprise dès le début de la reprise », plaide Marcel joint par Lulu. Dans la société Albert SA, il ne pèse plus rien, sauf quelques actions, et un titre de président du Conseil de surveillance qui n’a pas dû surveiller grand chose, vu le résultat aujourd’hui. Cette société consent pourtant à lui accorder de copieux avantages dont l’étalage est croquignolet.

Les comptes à débours politiques

Premier cadeau : Marcel récupère une Safrane dont le leasing, l’assurance et l’entretien sont réglés par Albert SA. Deuxième cadeau : on lui octroie une secrétaire à raison de 48 000 F par an. Marcel fait embaucher fictivement par une de ses propres entreprises celle qui sera sa trésorière de campagne aux municipales. Albert SA rembourse. L’assistante n’a jamais mis les pieds aux bureaux de la société Le Toro qui l’a salariée. Troisième cadeau : les loyers des bureaux de Marcel au centre des Herbiers, qui lui servent de permanence politique, sont pris en charge de la même façon, à raison de 180 000 F par an, net de charges. Le gag : ces locaux du 36 rue de l’Église appartiennent à Marcel, qui se facture donc un loyer à lui-même pour se le faire financer par l’entreprise. « Si j’avais été logé ailleurs, le remboursement aurait été effectué pareil » explique Marcel.

Quatrième cadeau. La convention prévoit de régler jusqu’à 480 000 F par an des frais divers et variés de l’ex-pédégé. L’inventaire des factures passionnerait un chercheur en sociologie du patronat, des caisses de pinard (3499 F de Chablis, Saint-Emilion, Haut Médoc, Champagne) aux plants de fleurs pour madame (3305 F, sacs de terreau compris). Partout où passe le couple, ou seulement monsieur, des petites notes sont réclamées, 777 F en Alsace quand ils font provision de Riesling et de Kirsch, 357 F plus deux cafés dans un restaurant d’altitude de Puy-Saint-Vincent aux sports d’hiver. Aux Herbiers, les commerçants s’étonnent de cette vendange systématique de factures et chuchotent. Élu maire, Marcel fait volontiers aux mariés de sa commune un gentil cadeau, générosité remboursée par le même biais. Parfois, les factures présentées paraissent incontrôlables, voire improbables. France Service Ingénierie, une société lui appartenant se fait régler 96 480 F de « recherche de partenaires de licence en Syrie » ou refacture d’invérifiables cumuls de frais de téléphone. De minables PV de stationnement, des timbres, des pleins d’essence s’ajoutent aux factures de parfums et de vins fins, aux achats de cadeaux de Noël, à l’impression de cartes de visite, aux séjours en Italie ou à Moscou (en mars 1997 avec madame : 9464 F, visas compris), jusqu’à l’achat quotidien de ses journaux. Quand il organise un raout pour sa remise de Légion d’honneur en octobre 1996, c’est une de ses nombreuses sociétés, Médiaform, qui lui facture personnellement la mise en place et le rangement de la salle (50 heures à 140 F l’heure pour brasser les chaises). La comptabilité d’Albert SA rembourse tout, y compris les cartons d’invitation et les petits fours.

Une gestion alberrante

Prévue sur trois ans, la pratique des frais s’est donnée un an de rallonge, régularisée a posteriori par une « convention conclue au cours de l’exercice ». Le rapport financier du groupe Albert de 1997 indique ainsi que la charge globale s’est élevée cette année-là à « 603 723 F respectant les limites allouées ». Soit plus de 50 000 F d’argent de poche par mois. La pratique s’est prolongée, sans convention, au premier semestre 98. Au même moment, les salaires sont bloqués, l’intéressement du personnel escamoté. Mais le patron, Bernard Bienaimé change sa BMW de fonction en juillet.

Les menus frais de Marcel, que les grincheux appelleraient « recel d’abus de biens sociaux », ne sont pas les seuls marrons qu’il tire du feu (voir ci-dessous). Les salariés, sacrifiés ? Modérons les propos, il ne s’agit que d’un cas bénin d’albération économique.

* Qui réalise notamment des fringues Kenzo, Naf-Naf et Chevignon, sous licence.

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