L’académie des vingt-neuf

Publié par lalettrealulu le

Huiles de palmes

Ce n’est pas parce qu’il ne se passe rien à l’Académie de Bretagne qu’il ne faut pas en parler.

On nous prie d’annoncer que M. le comte de Malestroit de Bruc vient de passer la main. Celui qui présidait depuis vingt-quatre ans aux destinées de la célèbre Académie de Bretagne et des Pays de la Loire cède la place à un certain Jean-Yves Paumier qui, quoique roturier, se dépense sans compter au royaume des Lettres. Le nouveau chancelier de l’illustre compagnie a en effet signé un ouvrage en 1971, délicieusement intitulé “Rationalisation des choix et urbanisme”. Pour ne pas trop bousculer la vieille garde, M. de Malestroit a accepté sous la pression de ses amis le titre de chancelier honoraire, tandis que M. Armel de Blocquel de Croix, baron de Wismes, a été réélu vice-chancelier.

Nos académiciens locaux sont surtout connus dans le cercle de leurs amis. Citons Jean Amyot d’Inville, Philippe Hervouët ou encore Sacha Bauquin qui confiait à ce dernier, rédacteur en chef de Plein Ouest : “J’ai commencé à écrire à l’âge de cinq ans.” Comme vous et moi, non ?

Difficile de percer les secrets de cette docte assemblée. Philippe Tourault, en charge de sa communication, n’est guère bavard. Du moins sur le sujet, car pour le reste, celui qui ne se connaît qu’une passion, “écrire, écrire, écrire”, est l’un des chroniqueurs du Nouvel Ouest où sa nostalgie sur la société, la politique ou la religion peut s’exprimer en toute liberté. Philippe Tourault y côtoie d’ailleurs un autre éminent pigiste du Nouvel Ouest, le chancelier Paumier lui-même. Comme on se retrouve… “L’Académie de Bretagne n’est pas l’Académie française”, précise Tourault. Ah bon ?

Pour être élu, inutile d’être candidat, il suffit d’être proposé par l’un de ses membres et d’obtenir trois quarts des voix. À l’origine, l’unanimité était requise. Les statuts ont été modifiés pour assouplir les conditions d’admission. Ce qui, pour certains, n’est toujours pas suffisant.

L’académie de l’ennui

Si on ne fait pas acte de candidature, il n’est pas d’usage non plus de démissionner. Un académicien n’a pourtant pas hésiter à claquer la porte. Élu “sans avoir rien demandé”, Michel Luneau n’a résisté que quelques mois avant de partir comme il était venu. Accueilli par un Jean de Malestroit qui saluait “un véritable auteur”, le romancier se souvient de “réunions placées sous le signe de l’ennui le plus profond.” Les discussions “surréalistes” pour l’attribution du prix de la nouvelle eurent raison de sa patience. S’y ajoutait l’élection, “présentée comme acquise par Jean de Malestroit avant même qu’on vote” d’un certain Louboutin Hervé que Michel Luneau n’envisageait pas de côtoyer.

L’élection de Jean-Yves Paumier ne va pas sans poser quelques questions sur la possible réorientation de la noble institution. “C’est à ses fruits qu’on reconnaît l’arbre”, sourit l’un des académiciens. À ceux qui en concluraient que l’Académie ne vaut plus un coup de cidre, nous conseillerons d’attendre les prochaines promotions. Les statuts limitent le nombre d’académiciens à trente et ils ne sont que vingt-neuf. Voilà de joyeux débats en perspective.

De débats, en réalité, il n’y en a guère. Cela tient davantage de querelles de famille. L’équilibre est en effet subtil entre militants chrétiens bon teint (Dieu reconnaîtra les siens) et frères maçons (nous n’en dirons pas plus, trois points, c’est tout). Tout cela reste feutré, mais on ne se fait pas de cadeau entre défenseurs de la soutane et du tablier. Aux côtés des gens de lettres, siègent des musiciens : l’organiste Jacques Lechat, le musicologue Patrick Barbier, l’organisateur de la Folle journée René Martin…

L’Académie, qui s’accorde parfois le lustre de consacrer un auteur déjà consacré, s’efforce d’afficher un large consensus. C’est ainsi qu’elle a décidé d’honorer un certain… Jean Rouaud. Le Goncourt 1990 a dû patienter pour obtenir le prix de Nantes. Ils devaient trouver ce Rouaud un peu jeune…

Gwen Liger