Ouest-France rollé dans la farine
Faux rhum
On a les preuves : le forum des lecteurs a été odieusement abusé par des piégistes impénitents. Honte sur eux !
Vous ne lirez plus le forum des lecteurs d’Ouest-France comme avant. Cette institution nantaise, agora des temps modernes, temple de la démocratie directe et de la presse de proximité réunies, s’est proprement fait balader par une bande de désœuvrés* qui l’a inondée de courriers pendant plus d’un mois. Une quinzaine de lettres au total, toutes fausses, toutes publiées, jusqu’à deux à trois par jour. Ces vils épistoliers n’ont reculé devant aucun artifice, s’inventant des noms du genre “Guy Nolleau”, déguisant leur écriture, singeant différents styles, afin de mieux berner la vigilance du très sérieux quotidien.
Le sujet ? N’importe quoi de préférence : “du danger des rollers en ville” accommodé sur tous les tons, de la mamie plaintive au philosophe de comptoir, du chauffard plus réac que nature à l’universitaire fou… Pas vus pas pris, les auteurs de ce canular se sont pris au jeu d’une spirale plus loufdingue de jour en jour, repoussant les limites du crédible jusqu’à l’absurde intégral. Leur prose ne les honore pas, qu’on en juge plutôt. Extraits : “Mme Martin”, vieille dame visiblement affolée par “les jeunes à roulettes” plante le sujet : “Je marchais tranquillement sur le trottoir place Jean-Macé avec mon petit chien, quand un de ces sauvages, inconscient ou inexpérimenté, ou peut-être les deux, m’a pratiquement bousculée au passage…” À quoi en rajoute aussitôt une dame “Francheteau”, dénonçant “ces bolides humains qui envahissent nos trottoirs” et suggérant au maire de “décréter une limitation de vitesse des jeunes à roulettes.”
Un philosophe, “M. Boucher”, tente de recadrer le débat sur “l’essentiel : puisque c’est dans la rue que se posent les problèmes, supprimons la rue ou abstenons-nous d’en faire usage…” mais ne réussit qu’à susciter la hargne d’un modèle de tolérance : “Sans doute M. Boucher n’a‑t-il pas à souffrir du danger que représente cette nouvelle race de jeunes, véritables meutes roulantes qui n’ont plus d’humain que l’apparence (…) et qui refusent de se déplacer à une allure humaine, c’est-à-dire comme la majorité des Français…”
Tous ces échanges émanent des mêmes plaisantins qui parsèment d’indices leurs faux courriers, laissant entrevoir la supercherie, allant jusqu’à s’étonner qu’un journal puisse publier leurs textes. Un “M. Le Gonidec”, terrorisé par la virulence des grand-mères nantaises, n’hésite pas à comparer ces “panthères grises” à l’ARB et aux fractions armées corses : “À quand des milices de grand-mères armées jusqu’au dentier, pourchassant les jeunes de leurs parapluies aiguisés ?”
Citons encore cet étonnant “M. Debours”, “automobiliste par goût et par nécessité” qui dénonce à trois reprises avec une beauferie caricaturale “l’arrogance” de ces rollers qui “ont littéralement giflé ma voiture sous prétexte que j’étais garé à cheval sur un trottoir le temps d’un achat… J’avais pourtant mis mes warnings !” conclut-il, “certain d’exprimer l’opinion de la plupart des automobilistes nantais.”
Il est bien connu que le forum des lecteurs d’Ouest-France est régulièrement manipulé par des farceurs ou des faux-nez, spécialement en période électorale. Mais jamais encore le bouchon n’avait été poussé aussi loin. Impossible de tout citer, il y en a des kilomètres comme ça, plus délirants d’une lettre à l’autre. Mieux, ce gang de maniaques postaux a suscité en réponse autant de lettres véritables sur le sujet et, cerise sur le gâteau, un bel article du journal qui nous rappelle que “certains habitants se plaignent, notamment dans nos colonnes, des problèmes liés aux rollers…” Problèmes qui n’existent en fait que dans l’imagination fertile de nos faussaires.
Un peu inquiets de constater que leurs lettres sont publiées alors que certaines frôlent le racisme, à tout le moins une intolérance chaussée de gros souliers cloutés, sans jamais subir ne serait-ce qu’une simple vérification dans l’annuaire ou le barrage d’une ligne éditoriale officiellement humaniste et chrétienne, nos affreux jojos ont préféré saborder leur trop facile plaisanterie. Non sans auparavant s’en être payé une joyeuse tranche.
À notre grand confrère touché par ce lâche attentat, modèle planétaire de rigueur et détenteur d’un vrai morceau de la vraie vérité, nous tenons à exprimer notre compassion. D’ailleurs, si c’est dans le journal, c’est bien la preuve que c’est vrai ; alors dans Ouest-France, pensez…
* Nous tairons leurs noms eu égard à la douleur de leurs parents.