Intraitable Erika
Traite du noir
L’usine de retraitement des résidus du naufrage échoue régulièrement. Et la sécurité s’englue dans un audit.
Le traitement des bouses mazoutées de l’Erika a du mal. Total a confié ce grand lessivage à une société de Compiègne, Brézillon, spécialisée BTP et retraitement des déchets, mais sans expérience question produits pétroliers.
D’abord annoncé en mai 2000, le lancement du process industriel Vulcain va de raté en raté et de retard en retard. Finalement démarrée en avril 2001, cette « première mondiale » claironnée par TotalFinaElf cafouille, la technologie piétine, le rodage tâtonne. Au point de tout stopper entre juillet et septembre derniers. En novembre, Brézillon s’essaye à un procédé à base de chaux, charriée à la pelleteuse. Ce qui se solde par plusieurs départs d’incendie. Les pompiers de la raffinerie contiguë sont appelés en urgence mais on les bloque à la grille. Plus besoin d’eux, Brézillon a étouffé les flammes avec les moyens du bord.
Ici, le voisinage est légèrement explosif, et tous ces aléas, ça fait un tantinet désordre, dans une zone classée Seveso ultra sensible, raffinerie, terminal méthanier, terminal agro-alimentaire, voies de chemin de fer. La Drire interdit l’usage de la chaux. D’autant que les salariés alentour, de la raffinerie et de Traphill, se sont plaints des nuages blancs qui attaquent les yeux et la gorge. Intérimaires et petits contrats temporaires, les tacherons de Brézillon n’ont qu’à tousser en silence. Total s’inquiète, au moins pour son image et ses promesses de performance technique. À ce jour, on n’a traité que 4 % des tonnes grattées après le naufrage de l’Erika. Brézillon tente un autre procédé, fait construire une unité de pressage des boues avec un silo, des décanteurs et des filtres à gogo. L’apprenti sorcier improvise. Une danse rituelle serait à l’étude.
Inquiet, Total a donc fait réaliser un audit de 60 pages qui épingle des conditions d’hygiène et de sécurité limites, de problèmes de sécurité incendie, d’échelles amovibles alors qu’elle devraient être fixes. Le rapport évoque un « nettoyage insuffisant des caniveaux et des puisards », la « présence de douches à proximité d’armoires électriques ouvertes », indique que « les interventions de maintenance se font de façon approximative en matière d’hygiène et de sécurité » et que « l’accès à certaines vannes se fait de façon acrobatique»…
« Simple suivi industriel de routine » tempèrent les communicants de Total. Le sous-préfet de St-Nazaire qui pilote le contrôle du site ne trouve rien à redire. Ce ne serait qu’une affaire entre les salariés et leurs dirigeants. Sachant qu’à part quelques ingénieurs et chefs d’équipe Brézillon, le site n’emploie que des petites mains locales, et qu’aucun syndicat ou comité d’hygiène et de sécurité n’est sur place, on peut se demander qui pourra lever la moindre objection. À moins que l’audit ne serve à Total à se dédouaner en cas d’échec industriel de son sous-traitant Brézillon. Mais là, on nage en pleine silence-fiction.