Chacun porte sa croix gommée
Amnésie international
Avant sa mort, Morvan Lebesque était vivant et se demandait « Comment peut-on être breton ?» Mais pas Teuton, ni Breton amnésique. Petite sélection des raideurs digestes du monsieur.
V’la t’y pas que Marcel Saupin, ce bougre de quasi inconnu qui a donné son nom à l’ancien stade de foot, est un collabo(1). Et un vrai dur, du mouvement Collaboration. Puisqu’on traîne dans les archives des époques fâcheuses, on peut se demander aussi quel passé a eu Maurice Lebesque, dit Morvan Lebesque pour faire authentique brezhonneg, qui a donné son nom à l’agence culturelle bretonne fondée en 1994, subventionnée par la Ville de Nantes et le Conseil général, abritée à mi-étage de la Médiathèque. Par son livre culte Comment peut-on être breton ?, publié en 1970, il incarne le réveil de la fierté bretonne après les heures noires de l’Emsav, le mouvement breton salement compromis par son parti-pris pro-nazi. L’ancien journaliste du Canard Enchaîné est enterré à Nantes où il est né, au cimetière Miséricorde, enfoui avec son passé. Un passé qui passe mal si on gratte un peu.
En 1929, Maurice Lebesque a 18 ans. Il est responsable pour le pays nantais du PAB, le Parti autonomiste breton des Breiz Atao. En 1931, il scissionne avec un certain Théophile Jeusset, et fonde le mouvement et la revue Breiz da zont, macérant dans un national-socialisme très tendance. En décembre 1931, Jeusset lance l’éphémère Parti nationaliste intégral, aux thèses clonées de celles du parti nazi. Morvan Lebesque, promu délégué général à la propagande(2), envoie un message au congrès constitutif : « Je fais le serment, de lutter de toutes mes forces pour l’établissement de la Nation bretonne et de l’Etat breton social-nationaliste »(3), lu sous une image de Juif figuré en épervier tenant le globe dans ses serres, cloué et surmonté de la croix gammée.
Il est partout
En août 1940, il est rédacteur en chef de L’Heure bretonne, le journal antisémite et collabo du PNB, le Parti national breton tenu par le redoutable Olier Mordrel, un des principaux leaders du mouvement breton version fasciste. Lebesque ne reste pas longtemps. « Il se défendra toujours de cette courte période à L’Heure Bretonne en arguant de sa naïveté et en assurant qu’il est parti dès qu’il s’est aperçu des velléités pro-allemandes du journal. La vérité est sans doute plus complexe. Remonté sur Paris en septembre 1940, il collabore régulièrement jusqu’en 1943 à Je suis partout, le journal fasciste de Brasillach », explique Yann Férec, auteur d’un mémoire de maîtrise sur Morvan Lebesque(4). Et il n’y est pas employé comme enfant de chœur, mais comme journaliste. Il a la trentaine. Pour des erreurs de jeunesse, on repassera. Il écrit aussi dans Le Petit Parisien, tout aussi collabo, qui publie du 6 au 11 octobre 1941 de larges extraits de sa biographie d’Un héros de la liberté, le Président Krüger, père fondateur de la future Afrique du Sud, héros de la guerre de Boers béni par les Allemands pour sa résistance aux britanniques.
Concessionnaire
« Ils ignorent, les « fans » de Morvan – ignorance fort bien entretenue d’ailleurs – qu’il fut le second de Mordrel en 1940 et qu’il « collabora » lui aussi avec « les nazis », comme ils disent (…) Sans doute ébloui, lui aussi, par la victoire foudroyante d’Hitler sur la France, s’était-il laissé aller à « d’aberrantes compromissions » avec le national-socialisme et parce qu’il pensait à l’époque, ce que nous n’avons cessé d’affirmer, qu’un État Breton valait bien quelques concessions au vainqueur »(5), ironise Gilles Eskob, un autre dur, membre du Bezenn Perrot, la milice paramilitaire du PNB, qui a porté l’uniforme SS jusqu’à fuir en Allemagne en juillet 44.
Dans son essai de 1970, Morvan Lebesque se défend de vouloir « excuser l’inexcusable », mais affirme que les militants de Breiz Atao ont eu « l’esprit libertaire qui conduit tant de Bretons dans les maquis », sans dire pourquoi lui-même, faute de trouver l’adresse de la Résistance, a poussé la porte de journaux collabos. Beaucoup de ces militants bretons ont été « antinazis », insiste Lebesque qui ne s’apesantit pas sur son propre parcours un peu sale. Juste un gros mensonge en disant s’être découvert « le cœur à gauche » dès ses 14 ans. Il préfère se demander s’il est breton de « pure race », tout en grognant que ce serait l’insulter que de le croire raciste. S’interroger sur la pureté de sa race, « c’est une question raciste », note Françoise Morvan, auteure à l’automne dernier de Le Monde comme si. Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne. Elle y dévoile les mensonges et des omissions volontaires de Morvan Lebesque dans sa présentation de Comment peut-on être breton ? et souligne sa participation en 1966 à la revue « Ar Vro » sous le pseudonyme de Yann Lozac’h, aux côtés de Mordrel et d’autres anciens de Breiz Atao et de Stur, la plus raciste, la plus fanatique des publications nationalistes. « Ce qui m’a aussi perturbé, c’est que pendant la Guerre d’Algérie, Lebesque tienne la rubrique cinéma dans Carrefour, très marqué pour son soutien à l’OAS » note l’historien Jean Guiffan.
En Bretagne, Morvan Lebesque donne son nom à deux rues, un collège et à l’agence culturelle nantaise. « J’étais à l’origine du nom, confie Jean-Louis Jossic, mais quand on a eu des doutes, on a décidé de ne pas l’utiliser. On dit juste agence culturelle bretonne. » Une suggestion, on pourrait rebaptiser cette agence du nom du regretté chansonneur folklorisant Théodore Botrel, disparu en 1925. Un garçon qui est resté irréprochable, pendant l’Occupation.
(1) Ouest-France, le 21 mai 2003.
(2) « Les étranges destinées de Dezarrois et Lebesque », par Daniel Le Couédic, dans les annales du colloque « Bretagne et identités régionales pendant la seconde guerre mondiale », Centre de recherche bretonnes et celtiques de Brest, 2002.
(3) Histoire secrète de la Gestapo française en Bretagne, par Philippe Aziz, éditions Famot, 1975.
(4) Le Progrès de Cornouaille, 23 août 1997.
(5) Le Rêve fou des soldats de Breiz Atao, par Ronan Caerléon, éditions Nature et Bretagne, 1974.