L’abbé de pierre

Publié par lalettrealulu le

Un hiver 04

Un squat en Terre Sainte. Dans le grenier, un crucifix a été repéré sifflotant la chanson : “coupe les curés en deux, nom de dieu, tue ton propriétaire !”. L’abbé du coin n’aime pas le refrain.

En novembre, les squatters ont juste poussé la porte. Qui était ouverte. En douce, ils ont investi des lieux abandonnés depuis deux ans par l’ex-compagnie de Théâtre à Suivre. Premier geste, placer un verrou, pour affirmer le changement d’usage des lieux à l’abandon. Le squat prend le nom de La Poudrière, du nom de la rue avant 1931, où fut établi le dépôt des poudres de la ville.

La cour, et deux hangars étaient de temps à autre fréquentés par les très raides scouts d’Europe (les plus droitiers de ces joviales organisations paramilitaires de jeunesse) par quelques anciens venant jouer aux boules et par la société Saint-Vincent-de-Paul dispensant de quoi croûter à ses pauvres. Le curé du coin prétend que les hirsutes empêchent ses pauvres de recevoir la charité. Accusation bidon : en fait le portail de la cour est ouvert le jour de la distribution de denrées alimentaires et les pauvres en question approuvent l’occupation des lieux. Trois jours après l’installation, huissier et policiers tentent de les déloger, cassent des carreaux, aspergent la cuisine de gaz lacrymogène, font de l’intimidation. Les squatters ne se laissent pas impressionner. Ils ont placardé les articles de loi sur la porte. Faute d’avoir pu jeter tout ce petit monde déterminé à la rue, l’évéché envoie une assignation en justice. La veille de Noël, les juges décident l’expulsion sous deux mois après passage de l’huissier, qui livre son papier le 21 janvier.

Privé mais patro

Les squatters se sont organisés, avec un projet politique de vie en commun, mêlant affinités et autogestion, se coltinant au quotidien la critique des a priori sexistes, assumant les tâches collectives, refusant aussi les standards de consommation et le système marchand. Les décisions sont prises au consensus, en assemblée générale. On se dépense sans compter pour retaper l’électricité, mais en dépensant le moins possible. Le pain et les croissants sont récupérés, comme les légumes en fin de marché. Les ateliers danse réunissent jusqu’à 15 personnes toutes les semaines. On répare des vélos, un site web est ouvert, on projette des films. Seules dépense, l’électricité et internet. La vie mais en mieux, quoi. Des échanges de savoirs sur les logiciels libres Linux, les ateliers jonglage, bâton chinois, arabe et italien, une crèche autogérée partagent les énergies des volontaires extérieurs et de la demie douzaine d’habitants. Qui sont chômeurs, débrouillards, militants et fêtards, libertaires, intermittents du travail, plus rarement étudiants, voire pion.

La matraque et le goupillon

Yves Chéreau, le curé de la paroisse St-Clément est moins connu que son frère, Patrice Chéreau, conseiller régional villiériste et président de l’ONPL. Le cureton s’est rendu petitement célèbre dans le quartier de St Similien pour avoir fait installer de barrières métalliques fixes autour de l’église pour empêcher les vilains SDF de s’y attrouper devant le local de “Brin de Causette” à l’heure de la soupe popu et du café réconfortant. Depuis, le bon curé a été placé en “Terre sainte”, en plein quartier des culs bénis et nostalgiques de l’ancien régime, pour éviter à coups de messes en latin, que ces ouailles n’aillent à la concurrence, chez les fondamentalistes cathos et autres prêcheurs dissidents.

Furieux de voir des jeunes investir son ancien patro de quartier, devenu théâtre mais fermé depuis deux ans sans entretien, le bon curé a demandé très vite un permis de démolir, qu’il a obtenu en janvier, sans projet précis, mais ça fait toujours bien pour justifier l’expulsion des hirsutes. Expulser des jeunes qui redonnent vie à un local abandonné ne semble pas contrarier son sens de la charité chrétienne. Lors de la messe de Noël à St-Clément, les perfides squatters ont distribué des tracts citant les évangiles. Le bon curé récupérait un à un les tracts quelques mètres plus loin, avant que les paroissiens n’aient pu lire ce brûlot dénonçant la spéculation immobilière de l’évêché sur un terrain très bien situé. Envisager l’expulsion par voie policière, grâce à l’alliance du goupillon et de la matraque, le gène à peine : “On aimerait que ça se passe mieux, mais il y a une décision de justice. Les louveteaux, les anciens du patronage qui jouent aux boules ne peuvent plus se réunir, la banque alimentaire qui nourrit les pauvres non plus. On n’est plus chez nous. Si on entrait, ça serait considéré comme une violation de domicile, parait-il…” Le bon père en perd son latin, ne sait plus trop s’il est chez lui. Défait, il balance des sales rumeurs contre les mécréants : “Demandez aux voisins, il y a eu des vols de vélomoteurs à l’école Pivault, et on les a vus réparer des vélomoteurs…” C’est pas joli, ça, le péché de calomnie : à l’école Pivaut, personne n’est au courant du moindre incident, ni même du moindre vol. Dieu reconnaîtra les chiens.