Portzamparc teste l’économie de marché sur la gueule
Une société de bourse, c’est pas une bourse du travail. Implanter un syndicat, c’est du vice. Et ça, ça travaille le vice-président du Medef 44.
Au Medef de Loire-Inférieure, Philippe de Portzamparc est numéro 2, ex-aequo avec dix autres vice-présidents du bureau. Dans sa boîte, les cadres appellent “PP” celui qui arbore ses initiales en un logo démarqué de celui de Rolls Royce. PP ne fait pas dans la dentelle. Sa spécialité, c’est la bourse et les marchés, et dernièrement, l’anti-syndicalisme primaire. Depuis plusieurs années, il fait aussi dans la performance négative et le déficit. La société de bourse a ainsi perdu 1,9 million d’euros en 2002 soit 25 % de son produit bancaire net. Et le résultat d’exploitation avant impôts accuse une perte de 2,25 millions en 2003. Aux abois, la boîte licencie à tour de bras et cumule les procès aux prud’hommes. Quinze postes supprimés depuis octobre 2001 réduisent l’effectif à 79 salariés fin février dernier, quand sont annoncés huit autres suppressions de postes.
Les aléas de la boursouflure
Tout s’est crispé en mai 2002, avec une brouette de six licenciements prévus sur les 95 salariés basés surtout à Nantes mais aussi au bureau de Paris et de Marseille. À la mi-juin 2002, un cadre chargé de développement, qui a déjà 25 ans d’activité syndicale chez ses patrons précédents, se fait désigner délégué syndical CGC et représentant sous cette casquette au Comité d’entreprise. Un analyste financier fait pareil à la CGT. Horreur et putréfaction. Faire ça à PP qui n’avait que de gentils élus au CE, pas de syndicat ! Le boss a failli en avaler sa cravate, mais il a trouvé mieux pour ses nerfs : puisqu’il y a une charrette de licenciés, autant y embarquer d’office les deux insupportables syndicalistes. Une demi-heure après l’entretien préalable au licenciement, le délégué CGC est sommé de rendre son portable, son badge de parking et de quitter l’entreprise dans les cinq minutes. Au retour de déjeuner, son bureau est fermé à clé, inaccessible.
Dans la foulée, Portzamparc lance un référé au tribunal d’instance pour faire annuler la désignation des délégués syndicaux, prétextant que ces mandats sont de pure opportunité, pour se garantir une protection individualiste. Échec : la justice déboute le patron et le renvoie à ses fantasmes médéfiens.
En juillet, l’inspection du travail refuse les deux licenciements de syndicalistes, relevant “l’absence d’examen et d’effort particulier de reclassement”. De Portzamparc s’acharne, saisit directement le ministère du Travail. Une enquête contradictoire est menée par la Direction régionale du travail, et le ministère confirme le refus de licencier. PP réfute mordicus “toute volonté discriminatoire”.
Action de grâces
Malgré l’échec, PP remet ça, relance une procédure de licenciement économique envers les deux pénibles qui refusent d’être virés. Nouveau refus de l’inspection du travail, nouveau recours auprès du ministère qui, le 8 septembre 2003, répond toujours qu’il est impossible de virer ces salariés protégés qu’on n’a pas tenté de reclasser. Un mois plus tard, le 10 octobre, coup de théâtre : sollicités par un très inusité recours gracieux de la société de bourse, les services de François Fillon opèrent un revirement complet, à la surprise générale, sans argumentation. Sans avoir entendu les intéressés, le ministère bafoue ses précédentes décisions, passe outre les deux avis de sa direction du travail, et autorise les licenciements. Que Philippe de Portzamparc, participant aux mondains dîners du “Siècle”, un club huppé de patrons, y rencontre notamment François Fillon, ministre qui entretient de bonnes relations avec le Medef, ne saurait servir d’explication à un tel aval gouvernemental à ces mesures antisociales. D’ailleurs au cabinet de Fillon, on l’assure la main sur le cœur : leur ministre chéri n’était pas au courant. Yves Gevin, le directeur général de la BPA confie que ces deux virés ont de la chance de bénéficier “d’une démarche soft : ça aurait pu être plus brutal, comme ça s’est fait dans la concurrence. Ici, ça s’est fait dans les règles de bonne gestion et de bonne élégance”.
Les deux syndicalistes sur le carreau ont donc saisi le tribunal administratif. Pour l’instant, le ministère fait le mort aux demandes d’explications devant la juridiction administrative qui, pleine de sollicitude, a gentiment signifié au ministre qu’il était déjà hors délai légal pour répondre aux arguments écrits des salariés bafoués. En attendant, ces salariés peuvent toujours méditer des phrases comme : “Le développement durable est au cœur des préoccupations du Groupe Banque Populaire”, plus spécialement à travers un fonds d’assurance vie qui sélectionne les entreprises “selon leurs engagements en faveur de l’amélioration des pratiques sociales” notamment. C’est ce que clament pourtant les dirigeants du groupe BPA, dont la Société de bourse Portzamparc est filiale. Question social, PP est pratiquant, selon sa propre religion. Il ne croit qu’en le jugement dernier de Saint François Fillon.