Les Nègres amateurs d’art blanc
Des pieds et des mains
L’été dernier, grâce à des militants nantais, les Sénégalais ont accueilli une femme sans papiers. Vierge, à ce qu’il paraît. C’est important. La statue en bois de la maman présumée du petit Jésus a même été imperméabilisée “contre les orages”. Alleluia ! Mais son visage n’a pas été repeint en noir pour faire couleur locale. Les bigots du quartier de La Boissière, au nord de Nantes, ont expédié cette vierge par la mer. Avec cette bonne action humanitaire chez les pauv’ blacks, la vie va changer à N’Diaganiao. Ce coin de brousse du Sénégal est désormais doté d’une indispensable grotte artificielle pour installer un très essentiel “chemin de croix en relief*”. Le ciment a été offert. Un moine a fait la caisse de transport de l’idole. Le transfert jusqu’à Dakar a pu compter sur “la participation de la Marine nationale”. Braves militaires ! Ils retrouvent la vieille alliance du sabre de marine et du goupillon missionnaire. “L’armée, ça coûte rien”, dit Jean Guilbaud, qui a depuis plusieurs années installé chez lui un atelier de réparation de statues religieuses déglinguées. “Je refais des pieds, des mains, des nez”, dit-il. La dernière retapée est donc partie dans la paroisse de “Niaga ch’sais plus trop quoi”. Il collecte les vieilles bondieuseries : “Les objets de piété, nous on s’en débarrasse. Là-bas, ils adorent les mettre dans les maisons.” Braves Nègres. Les voilà promus gardiens du centre de recyclage des crucifix au rebut.
* L’Éclair, le 27 janvier 2004.