L’insoutenable légèreté du maître
Passage à l’acte
Jugé sans honneur ni probité ni délicatesse pour trois mois, le notaire de Vieillevigne est au piquet, privé d’étude.
Pauvre notaire. Il en a subi. D’abord cafté par son comptable pour malversations à son étude. Puis une enquête de la Chambre des notaires, et des investigations de la police judiciaire. Pour finir traîné devant la justice le 7 septembre, pour avoir “enfreint les règles de la probité, de l’honneur et de la délicatesse”. Me Roger Bodiguel a été condamné à trois mois d’interdiction d’exercer sa noble fonction. Quelle honte. Lui qui en 2003 n’a piqué sur les comptes de ses clients que 18 616 euros pour rembourser une dette d’un certain Sauvion, qui se trouve par hasard être le beau-père de la propre fille du notaire. Un geste de prévenance et de préférence familiale tout à l’honneur du notaire de Vieillevigne, qui a dû rembourser. La justice a retenu que cette légèreté n’était pas une première, un fonds clients a été aussi allégé en 1995 : à sa mort, une vieille cliente du notaire avait légué 150 000 F à la “Fondation de la maison de la gendarmerie” à Paris, qui s’était fait estamper de 85 000 F par le brave notaire, captant de quoi faire un prêt à des amis restaurateurs. Le notaire doit être un peu désordonné, il a égaré des documents : aucune trace de remboursement n’a été retrouvée.
Outre ce détournement, remboursé aux gendarmes 8 ans après quand ça sentait le roussi, Roger Bodiguel s’est fait pincer pour une autre embrouille. En 2002, le notaire se désigne lui-même comme exécuteur testamentaire d’un papy client, avec une belle commission au passage. Formellement interdit dans la corporation. “Je n’avais pas vérifié les textes” a‑t-il prétendu, penaud, aux juges. Un aveu rassurant, pour un officier ministériel, dûment assermenté, tout acquis à la confiance de ses clients. Tout ça s’appelle des “manquements aux devoirs de la profession”, quand on parle l’euphémisme sans peine. Il y a aussi quelques mensonges, dissimulations grossières aux intentions suspectes et des tripatouillages de comptes utilisant les fonds bloqués de ses clients pour régler les problèmes du beau-père de sa fille, dont il est aussi le notaire. Sans faire marcher l’assurance de l’étude prévue pour ces aléas et en mélangeant compte en banque perso et compta de l’étude.
Les ennuis du notaire ne s’arrêtent pas forcément là. Comme entre-temps, il a jeté comme un malpropre le comptable qui n’a pas voulu couvrir ses manigances, les prud’hommes jugeront si le licenciement est abusif. Mais une autre enquête est en cours, s’intéressant à l’acharnement contre son ex-salarié de 25 ans. Ce qui risque de valoir d’autres rendez-vous judiciaires, au pénal, cette fois. Les plaintes contre X visent menaces, lettre anonyme, un cambriolage très orienté, qui n’a chipé qu’un dossier sur les micmacs de l’étude, un harcèlement confié à un détective privé commandité par Me Bodiguel. L’enquête vise même une tentative de meurtre. Le notaire qui ne manque pas d’air en a pris bonne note.
Passages à l’acte. Un hôtel sous une mauvaise étoile
Le même notaire n’avait pas fait l’école hôtelière. Il avait juste une formation supérieure de ni vu ni connu j’t’embrouille.
On ne peut pas toujours dire du bien de ces hommes de confiance que sont les notaires. En 1992, Françoise Choplin achète la totalité des parts de l’Armoric hôtel, établissement une étoile de 40 chambres, près de la mairie de Nantes. Elle suit le conseil de Me Roger Bodiguel, rachète les parts sociales plutôt que le fonds de commerce, et loue donc les murs. Elle lui fait confiance. Elle n’aurait pas dû. Le notaire joue sur plusieurs tableaux, au centre des transactions diverses autour de cet hôtel. Bodiguel rédige les actes, tout en étant conseil de l’ensemble des parties. Enfin conseil, c’est vite dit. Il estampera même un des deux propriétaires, le beau-père de sa propre fille. La belle construction du notaire s’est écroulée comme un château de cartes biseautées.
Françoise Choplin a contracté un prêt pour acheter l’hôtel. Elle découvre 3 semaines après qu’elle a aussi racheté 150 000 F de dettes cachées du précédent exploitant. L’hôtel marche pourtant bien, rempli à 75 %, l’office de tourisme envoyant du monde. En 1994, elle veut faire un embellissement et redemande le classement une étoile. Là, elle découvre que l’hôtel n’est pas aux normes de sécurité, que des travaux importants sont à faire, surtout l’installation électrique. La même commission de sécurité avait déjà prescrit ces mesures deux ans avant l’arrivée de Françoise Choplin, mais personne ne l’a prévenue. Les propriétaires des murs, qu’elle a dû assigner en justice, refusent pourtant de faire ces travaux. Contre toute attente, la justice leur donne raison en première instance. La Ville de Nantes fait donc fermer l’établissement qui n’a pas pu se mettre en conformité. L’hôtelière est piégée, mise en liquidation judiciaire en octobre 1996. Évidemment, ne pouvant exercer son activité, elle ne peut rembourser son emprunt. Depuis, elle a plutôt eu gain de cause, mais trop tard. En 1998, les propriétaires sont condamnés, le jugement leur imputant tout le passif de la liquidation judiciaire de l’Armoric et le remboursement à Françoise Choplin de l’achat des parts sociales. Elle n’a jamais pu récupérer les sommes qu’on lui doit. Et on retrouve le notaire au centre de ces sommes gelées. Elle lui réclame 842 873 euros pour les divers préjudices subis, dont la tromperie sur l’état de l’hôtel, l’existence et le montant des remaniements de sécurité à effectuer impérativement. Ce que le notaire savait pertinemment puisqu’il avait établi les actes des deux ventes antérieures du même hôtel.
Devant la justice, le notaire de Vieillevigne reconnaît piteusement aujourd’hui que, pressé par le beau-père de sa fille, il a “multiplié les erreurs”. En langage feutré de notaire, ça veut dire des manipes pas nettes. Des fautes professionnelles. Battez tambours, sonnez tromperies. Mais il ne faudrait pas étriller le notaire déchu. Qu’on lui laisse au moins de quoi se payer une chambre d’hôtel.