De Rugy enfin perché
L’ai-je bien monté ?
Surgissement du rugyssement en surgé de l’assemblée. Portrait en contre-plongée du perchoir.
Transgénèse ou transformisme ? À moins qu’il ne faille chercher du côté de l’homochromie(1), genre seiche ascendant caméléon, ou de la thermochromie – réchauffement climatique oblige ? Le cas intéressera sûrement la science. Quelle que soit la combinazione à l’œuvre, l’obstination de l’aristo François Goullet de Rugy a presque payé : lui qui dès le berceau rêvait tout haut d’un poste de ministre se retrouve surveillant général de l’assemblée. Mais patron du palais Bourbon, c’est quatrième personnage de l’État selon le rang protocolaire des institutions. Au pied du podium et en même temps, boss doté d’un podium.
Multicolore d’abord
La capacité de l’élu nantais propre sur lui, député depuis 2007, à changer de couleur de chemise, passant du vert pâle écolo au jaune jupitérien après un bref essayage en rose pâle socialo et la tentation de l’orange bayrouiste, se trouve enfin récompensée grâce à ses nouveaux amis macronistes. Une chemise qu’il ménage de plus en plus, délaissant volontiers le vélo pour le scooter. C’est pourtant le vélocipède qui lui a permis de se lancer. Potache à Nantes, il se fait l’ardent défenseur de la petite reine dans la cité des ducs, prend sa carte à Génération écologie de Brice Lalonde, qu’il préfère aux Verts d’Antoine Waechter, déjà trop extrémistes à son goût.
Mais il n’y a que les consternés qui ne changent pas d’avis : trois ans plus tard, en 1994, il claque la porte à Lalonde qui refuse de se rapprocher du PS. Diplôme de Sciences po en poche, le très pressé et ambitieux François fonde en 1995 l’asso Écologie 44 et entre déjà à l’Assemblée nationale comme secrétaire général adjoint du groupe Radical, citoyen et vert, avant d’adhérer aux Verts en 1997 et de devenir en 2001, à 27 ans, conseiller municipal de Nantes, adjoint aux transports, et vice-président de Nantes métropole. De la belle ouvrage.
Penche à droite
Soucieux d’un lien fort avec la nature , il cultive son penchant droitier naturel. Dès 2008, candidat officiel de la gauche aux municipales à Orvault, sa liste affiche le soutien des « centristes de progrès ». Malgré deux défaites consécutives face au maire centriste Joseph Parpaillon, cadre retraité de l’enseignement catho, les deux hommes finissent par faire ami-ami.
Quand de Rugy se pointe aux universités d’été du Modem, ça agace parmi ceux qui sont (encore) les siens. En 2015, la rupture est consommée. La girouette quitte Europe écologie-Les Verts, parti accusé de s’enfoncer « dans une dérive gauchiste », pseudo-thèse qu’il couche dans un obscur opuscule aux faux accents léninistes, que personne n’a lu : tiré à 4 000 exemplaires, il n’a enregistré que 310 ventes(2) en quatre mois, avant de disparaître des radars. À l’époque, de Rugy, qui se tire surtout la bourre avec Jean-Vincent Placé, son alter-ego au Sénat et meilleur ennemi, n’a pas le maroquin rêvé dans le gouvernement Valls. Même à la sauce hollandaise, la gauche constitue la grande hantise de ce réformiste libéral. Opposant très modéré au projet d’aéroport de ND des Landes et surtout farouche opposant notoire aux zadistes, il distille ainsi avec constance une certaine acrimonie, voire une acrimonie certaine à leur encontre.
Loyauté élastique
Il est vite devenu un vieux routard politicard. La preuve : il ne faut surtout pas croire ce qu’il déblatère. En 2015, il dément comme il respire et affirme n’avoir « ni dans l’idée d’adhérer à une autre formation ni d’en créer une autre »(3). Bingo ! Il cofonde quelques semaines plus tard Écologistes !, rapidement rebaptisé Le Parti écologiste, microcénacle inerte qui s’emboîte aussitôt dans l’Union des démocrates et des écologistes, autre structure lilliputienne. Avec sa course à l’élection présidentielle, il raffine son art du retournement de veste. Séduit par la « Belle alliance populaire », effort désespéré d’ouverture du PS en avril 2016, il rejoint les socialos à l’Assemblée nationale deux jours après avoir été bombardé vice-président du groupe écolo. Fallait bien remplacer Denis Baupin, dénoncé pour agressions sexuelles et harcèlements. Candidat à la primaire organisée par ses nouveaux amis, il ne séduit que 3,88 % des votants et promet comme tous les autres de soutenir le vainqueur final. Trois semaines plus tard, il lâche Hamon pour faire allégeance à Macron. La « haute autorité de la primaire » s’étrangle presque du parjure, dénonçant un « revirement inédit » et une « attitude contraire au principe de loyauté ». Pas mal pour l’auto-proclamé parangon de vertu.
Préférence familiale
Ce fils d’enseignants s’était déjà pris, en 2009, les pieds dans le tapis : voulant tant donner une leçon de transparence sur ses revenus de parlementaire et leur usage, il oublie de signaler par le plus grand des hasards qu’il a rémunéré pendant un an sa compagne, par ailleurs conseillère régionale, ce que révèle Presse-Océan. Épisode qu’il tente désormais de minorer du haut de son perchoir bourbonnien(4).
Dans une République aux ors toujours très monarchiques, sa nouvelle fonction et les privilèges qui lui sont attachés – résidence dans le très chic hôtel de Lassay, indemnité mensuelle portée à 15 000 euros brut, etc. – devraient aller comme un gant à ce lointain descendant d’une famille anoblie en 1785 (il était temps). Qu’il en profite car le séjour a été limité par Jupiter à 30 petits mois. Juste à temps pour un retour triomphal à Nantes, où préparer une campagne municipale après avoir bien montré sa trombine au perchoir, sans tacher sa chemise au cambouis du gouvernement. Une chemise propre, c’est le secret. Pour la couleur de la veste, il a le temps de voir.
Élisée Biclous
(1) L’homochromie, ou coloration cryptique (grec ancien κρυπτός, « caché »), est une faculté à se camoufler par mimétisme en ressemblant via les couleurs à son environnement le plus proche. Les autres trucs, on va pas tout vous dire non plus, z’avez qu’à chercher.
(2) Selon l’institut Edistat en janvier 2016.
(3)Le Monde, 28 août 2015.
(4) « Mais je ne l’ai jamais caché », Ouest-France, 28 juin 2017, quoiqu’à y regarder de plus près : Mon cumul sur la commode, Lulu n° 68, avril 2010.