Les cognes de l’immobilier décomplexé
Destroyalisme
Furie antisquat à la nantaise, gros bras hardis, barres à mine sans chichis.
Les pros de l’immobilier nantais s’essaient à l’option casseurs et travaillent avec des gros bras. Au bout des bras, matraques télescopiques, masses et barres à mine, un bélier à l’occasion. Depuis l’été à Nantes, la nuit, le jour, avec ou sans cagoule, la police jamais loin, les attaques violentes se multiplient contre les squats pourtant couverts par des procédures légales.
Quelle misère ! Les autorités n’ont plus l’empressement voulu pour foutre dehors les mauvais payeurs et les squatteurs. Du coup, les malfaisants se croient permis l’impayé de loyer, ou squattent les maisons sous prétexte qu’elles seraient vides. Les pauvres propriétaires nantais sont accablés, désemparés.
Jamais mieux servis que par eux-mêmes, des pros de l’immobilier passent à l’action et missionnent des experts à matraques. Quatre cas récents témoignent de la montée en puissance de ces nouveaux petits boulots de temps de crise.
Matraques et gazeuse
Premier cas. Dans le secteur très huppé de Monselet, la maison à un étage, inoccupée depuis 2007, a été rebaptisée « L’Esquive » par une poignée de squatteurs installés début juin dernier. En juillet, un maçon vient murer la maison pourtant bien réhabitée, mais repart sans trueller. Arrive un type menaçant en Mercedes noire : « Je vais vous envoyer les gros bras qui vont venir tout casser. Moi, la justice, la police, je m’en fous… ». Passe ladite police qui ne trouve rien à redire à l’occupation. Un huissier fait le classique constat qui lance la procédure d’expulsion mais couvre les squatteurs jusqu’à la décision du juge : éviction ou délai accordé. La nuit du 12 juillet, à cinq heures du mat, un commando d’hommes cagoulés, sept, huit, peut-être dix, déterminés, armés de matraques télescopiques et de gazeuses lacrymogènes, investit la maison, casse les sanitaires, les vitres sur le jardin, se fait passer pour de la flicaille, exige et emporte des cartes d’identité. Peu de discours, juste des insultes. Dégagez ! Les voisins se seraient plaints. Les jours suivants, nouvelles attaques. L’alimentation électrique coupée d’un coup de disqueuse, privant au passage tout le quartier de connexion internet pour plusieurs heures. Une des voitures des squatteurs subit un début d’incendie, heureusement vite éteint.
Deuxième incursion, la porte cette fois défoncée au bélier : « Ils nous tiennent en respect, la tête sur les matelas, gazé.es ou matraqué.es dès qu’on bouge. Menaces de viol. Deux ordis volés, tous les téléphones qu’ils trouvent détruits », raconte une habitante. Un des hommes de main s’attaque aux vélos dans l’entrée, coupe des rayons mais échoue à sectionner le cadre avec sa meuleuse, plus adaptée pour détruire les meubles. La mise à sac commencée la première fois continue. Un liquide noirâtre puant aspergé sur les fringues, les lits, les placards. La salle de bain retournée, la cuisine dévastée, le frigo renversé. Quatre blessés par des coups de matraque iront aux urgences se faire recoudre le crâne. Dans une pièce qu’ils ont pu barricader, trois habitants appellent finalement la police. Ce qu’entend le commando qui dégage illico au coup de sifflet du chef. Juridiquement, ce raid dans un logement occupé est une violation de domicile passible d’un an de prison et 15 000 € d’amende (art. 226 – 4 du code pénal), sans parler des violences et menaces. Un risque de correctionnelle qui n’a pas l’air de tracasser une telle cohorte. Le propriétaire est un groupe immobilier nantais, AJP, tenu par la famille de l’assureur castelbriantais Joël Hamon et présent dans tout le Grand Ouest. À la tête de 66 sociétés, le fiston Jean-Philippe Hamon n’a pas souhaité répondre à Lulu.
Petites frappes, gros dégâts
Deuxième cas. À Rezé, un père occupe une maison avec sa fille : « J’ai gardé les lieux propres, et proposé de signer un bail précaire. Le propriétaire n’a pas voulu », dit-il. Le 12 septembre, en son absence, tout est dévasté, du verre cassé sur les affaires de sa fille de six ans. « Toutes les vitres brisées, lavabo et chauffe-eau défoncés », note le Dal (Droit au logement). Le lendemain, « deux gros balaises, malsains, flippants » reviennent, le menaçant ouvertement de lui « défoncer sa gueule ». Violation de domicile, vandalisme, menaces… « On a juste fini de tout casser pour que ce ne soit pas occupé une seconde fois, dit Cyril Arnoux, le gérant d’Arti créations. On n’est pas le propriétaire. On a mis la maison en sécurité même s’il n’y avait pas d’urgence, pas de permis de construire, pas de bon de commande du propriétaire. »
Troisième cas. Dans le quartier Saint-Félix, quatre casseurs débarquent un dimanche, de jour, sans cagoule ni complexe, dans une maison rebaptisée « La Bourgeoisie » par les squatteurs qui y ont élu domicile. Les quatre hommes démolissent consciencieusement les sanitaires pour rendre inutilisable le logement détenu par un promoteur et marchand de biens, Maisons urbaines, dont les deux gérants suivent la destruction en règle depuis le trottoir. « C’est mon huitième squat en treize ans de métier. La loi est pour les squatteurs. Du coup je n’ai jamais fait de procédure officielle. Trop long, trop fastidieux. J’ai toujours géré ça moi-même, dit Anthony Tiriakian, l’un des deux gérants. Euh… non, je vais pas vous dire mes méthodes… La violence peut être partout. Faut pas toujours croire que c’est les proprios… À Saint-Félix, ils étaient une douzaine. Nous, on était quatre, et on n’est pas arrivés avec des flingues, on est des gens lambda… Si on a tout cassé à l’intérieur, c’est pour anticiper les travaux ». En arrivant à la maisonpour tout casser, il prévient la police : « Ils sont arrivés un quart d’heure après, une dizaine, la Bac, la police nationale. Ils nous ont laissé sécuriser la maison. »
« Les migrants, c’est différent. Il y a de l’empathie, et quand on arrive, ils partent en s’excusant. Rien à voir avec ces anars de 25 – 30 ans bien organisés, dit son associé Guillaume Delcros. On ne détériore pas un bien qui nous appartient. On achète en mauvais état, et on met à nu le bâtiment, on le cure pour le revaloriser. » Il sait que, faute d’intervenir dans les premières quarante-huit heures, les squatteurs sont inexpulsables jusqu’à ce que la procédure soit purgée et qu’une intrusion est hors-la-loi : « Oui complètement, mais à la base la situation est scandaleuse ! On récupère notre bien, c’est pas borderline. Le risque de me prendre une plainte, je l’assume ! »
Police dehors, justice nulle part
Quatrième cas. Même scénario près du rond-point de Rennes. Le sort de cette maison réoccupée après cinq ans d’abandon doit être scellé le 15 octobre. Dans l’attente, les habitants ne peuvent être mis dehors. Le 8 octobre, en début d’après-midi, deux types assistent trois gros bras qui entrent de force, explosant vitres, lavabos et chiottes à la barre à mine. La seule habitante présente est plaquée contre un mur. « La loi ne suspend pas l’occupation et protège plus ou moins les squatteurs », déplore le propriétaire, Stéphane Houssais, patron d’une douzaine de sociétés immobilières et industrielles : « Non je n’étais pas à l’intérieur. Je suis resté sur le trottoir avec la police, qui n’est pas intervenue. Elle a des consignes pour ne pas faire trop d’esclandre. » Sur les gros bras qui démolissent sa maison en sa présence, il reste évasif : « Je ne sais pas, j’ai rendu service à un grand nombre de personnes… »
La veille, une descente de police (trois fourgons) a défoncé la porte et embarqué cinq personnes soupçonnées de « vol d’électricité », avec un pistolet sur la tempe au passage, histoire de bien faire peur. Au bout de quarante-quatre heures de garde à vue, quatre repartent sans poursuite, une seule est renvoyée devant un tribunal en novembre 2021. Qui a dit que la garde à vue prolongée aurait tenté de laisser le champ libre à la visite des casseurs ? Fadaises, tout ça.
À Nantes, en deux mois, cette violence décomplexée contre ses propres biens est inédite. Faut croire que les proprios se sont donné le mot. Pour démolir, faut pas mollir.
Gustavo Tourdebrat