Nantes, l’urbanisme ratiboiseur
Phobie administrative municipale
Comment s’asseoir sur les documents réglementaires sans créer le moindre banc public.
Virage à 180° au château des ducs de Bretagne avec le retour d’arbres dans la cour, quinze ans après leur massacre. À l’époque, lesdits végétaux avaient été abattus pour permettre le passage souterrain des divers réseaux dans la forteresse en pleine rénovation. Les esthètes institutionnels du patrimoine soutenaient aussi cette coupe rase, soulignant que la cour d’origine ne comptait ni forêt ni bosquet. En off, l’ambition de la ville était aussi de faire place nette pour permettre à la société publique locale Le Voyage à Nantes, fameux mélange des genres public-privé, de pouvoir y organiser plus facilement des spectacles ou soirées privées avec recettes sonnantes et trébuchantes à la clé.
Flibuste à la tronçonneuse
L’opération avait pourtant été menée dans l’illégalité la plus complète : les victimes tronçonnées sur pied figurant en « espace boisé classé », il aurait fallu au préalable modifier le Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) géré conjointement par l’État et la municipalité. Et pas qu’un peu puisque, en l’occurrence, la loi impose une procédure de révision du document. De quoi plomber un planning de chantier d’au moins dix-huit mois, voire deux ans. Et le plomb, dans un calendrier, ça vous collerait du saturnisme dans les agendas des élus. Bien sûr, à l’époque, ni les services municipaux ni les élus, ni même l’ABF, architecte des bâtiments de France représentant l’État, ne mouftèrent. Marche arrière toute, donc : puisque la métropole se voit décriée pour son penchant minéral récent malgré sa tradition botanique, on plantera « pins, abricotiers, pommiers, fraisiers des bois, menthe, pervenches (plantes vivaces) et même un grenadier de toute beauté », autant de variétés qui existaient « à l’époque d’Anne de Bretagne », s’enthousiasme Presse-Océan. Ce qui recréera un « nouveau jardin extraordinaire ». L’adjectif coûte pas cher : après le Lieu unique, tout nouveau jardinet se doit d’être extraordinaire.
La stratégie de l’arbre portatif
Heureusement pour les gérants du Voyage à Nantes, les arbres côté cour ne sont que des grosses plantes élevées en batterie, dressées dans des bacs sans la moindre racine en pleine terre. On pourra les rouler à tout moment pour laisser libre cours à une rave party VIP. Après la fausse allée de verdure en pots, « éphémère » depuis plus de deux ans le long du quai de la Fosse, c’est une manie, l’arbre hors-sol.
Halle ratiboisée
Ne pas respecter les règles d’urbanisme que la mairie se donne à elle-même est une spécialité nantaise. En octobre 2010, les halles de la place du Bouffay ont été démontées pour une « requalification » de l’espace. En fait, les élus l’avaient déjà décidée sans la dévoiler publiquement : le prétexte des travaux a permis de virer la structure, en jurant que rien n’était irréversible, tout en sachant parfaitement que jamais ne seraient remontées ces halles, pourtant célébrées par Jacques Demy qui les avait recolorisées en 1982 le temps du tournage d’Une chambre en ville. Il y a des patrimoines qu’il vaut mieux enfouir si on veut aménager en paix.
Il faudra patienter un an pour que la majorité municipale avoue le point de non retour. Alain Robert, adjoint à l’urbanisme, se justifie en mettant en avant l’installation, l’année suivante, d’une « œuvre d’art de la biennale Estuaire ». Et profite de l’occasion pour dénigrer les halles, les estimant gênantes pour le marché (qui a disparu de fait) et les spectacles, niant même leur « caractère historique »*. Tout en oubliant de préciser que ces halles bénéficiaient pourtant d’une protection du même PSMV. Paperasse, que tout ça. Il faut savoir haller de l’avant. Un éloge, sans doute, du pas de côté.<
Prosper Vert-le-Duc
*20 minutes – 18/11/2011.