Consciences scolaires en pleine méditension
Médites 33
Expérimentations sauvages de méditation dans des écoles de Loire-Inférieure.
La méditation de pleine conscience à l’école ? Début février, le ministre Blanquer a sifflé la fin de la récréation. L’expérimentation auprès de 9 000 enfants en région parisienne a soulevé un tollé auprès de la LDH, de syndicats et d’assos anti emprise sectaire. Le principe de cette méditation : se concentrer sur sa respiration et laisser venir ses pensées sans les contrôler. Avec le risque de faire remonter à la surface de grands traumatismes enfouis. C’est vendu comme un outil magique pour imposer le calme dans une classe agitée. Mais, devant la levée de boucliers, le test a été suspendu, en attente d’un rapport d’un comité d’experts.
En Loire-Inférieure, on n’a pas attendu ce test parisien. Depuis plusieurs années, discrètement, des instructrices interviennent déjà dans les écoles, sans coordination, chacune dans sa classe, cooptées par des parents d’élèves, des profs, la direction, parfois par un cadre municipal. De 2015 à 2019, neuf écoles, lycées et collèges, publics ou cathos, ont méditationné sans le crier sur les toits dans le département*.
Ça calme ou ça soigne ?
La dernière annonce du ministre crée une gêne : « J’attends les directives de mon employeur, le service santé scolaire de la Ville de Nantes », explique Mathilde Bourret à Lulu. Elle exerce dans le quartier Nantes nord en cabinet libéral sous statut d’entreprise individuelle et est parallèlement salariée par le pôle santé global de l’enfant de la Ville de Nantes pour aller former à la pleine conscience méditative les 17 infirmières opérant dans les écoles primaires nantaises. Depuis plus de trois ans, elle mène des formations de trois jours pour les nouvelles recrutées et des piqûres de rappel au long de l’année. « On n’a pas eu vent de l’annonce du ministre de l’Éducation, mais nous, de toutes façons, on dépend de la Ville, indique une salariée du service municipal. En mêlant leurs compétences en psycho, les infirmières utilisent la méditation de pleine conscience en petits groupes, à la demande d’instits et directeurs d’écoles, pour apaiser des tensions ou autres. »
Marchande de méditation et de yoga en libéral à Nantes, Patricia Pinna représente pour l’ouest l’AME, Association méditation-enseignement, parrainée par le moine chauve orange Mathieu Ricard, et qui a porté l’expérimentation parisienne décriée. Avec le même programme problématique « Peace » (Présence, écoute attention concentration à l’école), soit vingt séances d’un quart d’heure en début de cours, « cooptée par une enseignante », elle intervient en 2018 pour une classe du collège de Pont-Rousseau à Rezé, puis pour six classes en 2019 (152 élèves, 12 enseignants investis). Le covid a figé cet essor. « Les enfants n’ont pas du tout été lobotomisés du cerveau. Mais il y a eu sur le sujet un conflit au sein des profs. Certains n’ont pas envie que les consciences s’élèvent, dit-elle à Lulu. C’est trop compliqué : je me détourne du monde scolaire. » L’enseignement qu’elle en tire : « Il ne faut pas parler de méditation mais utiliser d’autres mots : climat de classe, concentration, pleine attention… » Après l’annonce de Blanquer en janvier, le programme de formation de profs de trois collèges du quartier Bellevue, qu’elle animait, est suspendu avant la troisième demi-journée de formation. Le principal adjoint du collège de la Durantière a préféré ne pas insister.
La contrôle du coussin
« Les responsables d’établissement pourraient être plus regardants sur les intervenants extérieurs. En région parisienne, ça a été du grand n’importe quoi, avec des gens qui n’avaient ni compétences ni qualifications. Il ne suffit pas d’être assis sur un coussin de méditation », débine Catherine Muzellec, autre pleineconsciencieuse du marché nantais. À la demande du directeur de la clinique privée du Parc, cette « instructrice mindfullness » a travaillé sur un projet de méditation au lycée visant entre autre à diminuer les « ruminations mentales et l’autodénigrement » des ados. Projet avorté. « Mindful up », l’autre programme censé « apaiser le stress et toutes les peurs » des enfants et ados, les remotiver mais aussi « booster le système immunitaire et l’énergie psychique », est utilisé à Saint-Nazaire par Cathy Rivalant. Elle a consciencieusement pleinifié tous les élèves de primaire de l’école Saint-Joseph, et en 6e au collège Sainte-Thérèse. Auto-entrepreneuse, elle facture 60 € l’heure, minimum six séances, prises en charge par les assos de parents d’élèves. Depuis deux ans, elle intervient aussi en périscolaire à Trignac pour toutes les classes des trois maternelles publiques. « Je ne ramène pas de spiritualité comme pour les adultes, même si, bien sûr il y a une ouverture… C’est de la méditation thérapeutique, inspirée des neurosciences. » Elle se débrouille. Sans retour d’expérience ni échange de pratiques avec d’autres méditatutrices. Sans trop savoir qui fait quoi : « J’avance toute seule. Nous, petits indépendants, on n’est pas aidés. Il n’y a pas de réseau. C’est tout nouveau dans les écoles, la méditation de pleine conscience, ça ne fait que deux ans qu’on y est. » Thérapeutique, semi-spiritualiste, anti stress, pacification de classe, toutes ces expérimentations sauvages, ça risque de faire des loupiots des sauvageons ?
Mathieu Perno
*La Pleine conscience dans la société française : réalités et perspectives, 20 p., Initiative Mindful France, septembre 2020.