L’amiral de terre plein

Publié par lalettrealulu le

Présig-land

C’est quoi c’bordel au bord de l’eau ?

« Ils doivent partir. C’est pas l’Armée du salut, ici. » Casse tête : comment virer des membres de son association, qui plus est à jour de leur cotisation ? Sur ce terrain municipal au bord de l’Erdre où des bateaux à sec sont en chantier avant remise à l’eau, le temps est au vinaigre. Entre proprios de ces bateaux, les coups de gueule couvrent le son des meuleuses, la musique des ponceuses et la mélodie des visseuses. Jusqu’ici, le chantier naval associatif de l’Ancap, Association nantaise des constructeurs amateurs de plaisance, était aussi un lieu d’entraide, d’échange d’outillage, d’autoconstruction, d’entretien et de réparation de bateaux de plaisance. Un espace de liberté, de temps long, hors des prestations marchandes. Au bord de l’Erdre, un peu avant le pont de La Jonelière, le site coincé entre un bout de falaise et le fil de l’eau est concédé gratuitement par la Ville de Nantes depuis 1984.

Histoire de non-cul

Depuis qu’il préside l’asso, Micka s’est fait surnommer « présigland » (c’est pas gentil) par certains. Entouré de « vieux schnocks et d’aigris », il s’est vite senti le boss du terrain. Aux récalci-
trant.es à ses méthodes, il lâche : « Je ne peux pas rester le même, maintenant que je suis président. » On se demande pourquoi ce gusse qui n’a même plus de bateau à lui, s’accroche à cette casquette d’amiral à sec. Et pourquoi il se crispe, focalisé contre Mélanie, une des autoconstructrices qui vit sur place depuis 2017 dans sa barge en alu qu’elle retape. « Conflit personnel » qu’il « souhaite régler de manière indirecte par le biais de l’association », écrit l’avocat de Mélanie pour l’audience qui échouera à l’expulser. « Question de pouvoir… Et peut-être une histoire de cul, ou plutôt de non-cul », suggèrent certains. Un pouvoir de séduction mis en échec. Lui aurait bien voulu, mais Mélanie pas du tout. Le président nie mollement : « Jamais entendu parler de ça. Ce n’est pas du tout mon style de femme. Et j’ai dix ans de plus qu’elle… Les petites histoires ne m’intéressent pas. Le conflit est né quand j’ai demandé à respecter le règlement. » En décembre 2020, invoquant un « trouble à l’ordre public » imaginaire et envisageant « l’assistance de la force publique, d’un serrurier, d’une entreprise de terrassement ou de dépanneuses », un huissier a voulu dégager Mélanie. Motif : elle dort dans son bateau. Argument peu crédible puisque ça assure une présence la nuit, et surtout que le président en question a vécu ici six ans dans sa vedette à sec, revenant même lors du premier confinement vivre amarré au ponton et gardant pour l’administration sa domiciliation sur place. D’autant qu’un tarif spécial incluant les frais d’assainissement est facturé aux résidents sur place. Les dirigeants de l’Ancap ne découvrent donc pas une situation dont ils ont eux-mêmes bénéficié. « C’est vrai, j’ai moi aussi vécu cinq mois ici, mais c’est fini », explique à Lulu un de ces grincheux. Le record : plus de huit ans pour un autre adhérent à qui on n’a jamais cherché de noises.

Patatras et bis repetita

À l’audience en mai 2021, le président et son clan d’administrateurs scrogneugneux étaient absents, s’évitant d’assister au fiasco retentissant, les juges reconnaissant une « autorisation explicite à résider sur place » du fait de la « tarification spéciale appliquée aux résidents » et « la délivrance de factures ». Déboutée, l’Ancap a même été condamnée à 800 €. En février 2022, les déboutés tentent de profiter de la mise aux normes des compteurs électriques par la Ville pour faire installer une minuterie et couper le courant la nuit. Objectif : faire dégager Mélanie qui ne pourrait vivre sans chauffage sur place avec sa fille de cinq ans et demi. Prévenue que ça pouvait valoir une plainte pour voie de fait et un passage au tribunal en référé, la mairie a mis le holà. Outre Mélanie, deux autres femmes les plus actives sur le chantier, Morgane et Caroline, ont aussi subi plaintes, huissiers, menaces. L’amirauté de terre-plein aurait elle un problème de misogynie ? Sur les 82 adhérent·es déclaré·es, une petite dizaine résiste, demande, sans succès malgré de nombreuses mises en demeure, à consulter la compta et les documents administratifs de l’asso, subit l’offensive du clan grinchu qui change les serrures du local, coupe autoritairement la wifi, confisque la cafetière, « neutralise » le frigo dédié aux adhérent.es. Motif : « Les locaux sont pas propres… » « On a dû faire notre vaisselle dans les chiottes. » La bibliothèque compilant des années de docs techniques accumulées est détruite. Prétexte : risque incendie. À ce tarif-là, il faudrait cramer toutes les médiathèques, centres d’archives et papeteries.

Rencontrés sur le terrain, le trésorier et deux de ses sbires se lâchent : « On fait ça pour protéger l’asso », « Ils pourraient saboter des choses », « Ils chauffent trop, ils profitent du frigo, de la wifi , du gaz, de l’électricité… », « C’est la jungle », « On n’est pas à Notre-Dame-des-Landes, ici. Ils ne travaillent pas, ils squattent »… « Ben euh, non, ils paient leurs emplacements… », rectifie d’une petite voix le trésorier. « Bon, peut-être, mais ils vivent du RSA. Quand on n’a pas les moyens, on n’a pas un bateau. » Les pauvres n’ont qu’à prendre l’amer.

Captain Paddock