Le muscadet sur lie noire

Publié par lalettrealulu le

Le passé de « négoce avec les îles » pour planquer l’héritage négrier.

La bâtisse de la Haye-Fouassière a un peu de sang dans les fondations, comme celui de ces 33 esclaves massacrés le 16 avril 1730, lors d’un embryon de rébellion à bord de l’Aimable Renotte, armateur Augustin de Luynes. Pour se lancer dans le pinard, la famille de Luynes avait un peu d’artiche de côté : la lignée a fait fortune côté paternel au sein de la chambre des comptes de Bretagne et, côté maternel dans le maritime : au milieu du XVIIIe, les aïeuls armateurs font partie des quatre plus puissants nantais, grâce officiellement « au négoce avec les Îles » comme dit le descendant qui ne mentionne surtout pas le commerce négrier, ni le double profit, la famille étant aussi esclavagiste (faut bien faire trimer ses cargaisons). « Cet investissement massif dans l’armement s’est doublé d’une saisie importante de plantations aux Antilles, ce qui en fait un des meilleurs exemples du trafic colonial intégré », écrit l’historien universitaire Guy Saupin.*

La famille « se remarque ainsi précocement », souligne l’universitaire Erick Noël**, en faisant partie des précurseurs français d’une traite négrière jusque-là admise par le pays dit des Lumières uniquement sous les tropiques. Mais pour le chercheur Erick Noël, la contradiction entre « le climat de fièvre commerciale des années de Régence » et le sillage des « grandes découvertes » – comprendre conquêtes coloniales – devient intenable pour le roi, sous la pression des bourgeois et des nobles. En 1716, un édit royal autorise finalement le séjour d’esclaves noirs en métropole, pour trois ans maximum et normalement pour leur inculquer une éducation religieuse ou un métier. Prétextes fallacieux : « Dans les faits, les grandes familles nantaises, ayant des intérêts dans les colonies, font venir à Nantes des gens de couleur pour être leurs domestiques », rappelle le musée d’histoire de Nantes. Les de Luynes se faufilent dans la brèche juridique pour vendre des esclaves jusqu’à Paris. Bon, on va pas se formaliser pour des luynepties d’il y a trois siècles.

  • L’esprit d’entreprise dans le négoce nantais au xviiie siècle : l’exemple des De Luynes, Guy Saupin, Économie et société dans la France de l’Ouest Atlantique, Presses universitaires de Rennes, 2004.
    ** L’esclavage dans la France moderne, Erick Noël, Dix-huitième siècle, n°39, 2007.