Loto-entrepreneur : la vie de château

Publié par lalettrealulu le

Ruissellement

Financé par les happy taxpayers, l’immobilier négrier berne son monde. Exemple avec ce pseudo château dans le vignoble.

La magie de Noël a touché Marine et Guillaume de Rosnay, qui ont récolté au pied du sapin un chèque rondelet de 300 000 € pour les aider à se loger. En guise d’Abbé Pierre, c’était Stéphane Bern, brasseur de vent, animateur télé et grand ordonnateur jupitérien du Loto du patrimoine financé par la Française des jeux. Seul lauréat de Loire-Inférieure, le couple Rosnay va pouvoir retaper son austère bâtisse. Enfin un peu de justice sociale pour les heureux impétrants qui vivent l’enfer depuis 2018, date de leur migration à La Haye-Fouassière. Le couple quitte alors l’aimable patelin de Versailles et ses fortunes patinées depuis l’Ancien régime. Au sud de Nantes, le couple de miséreux écope d’un intérieur fruste, ouvert aux courants d’air, « même pas l’eau chaude dans la cuisine », fenêtres qui fuient, « charpente imbibée d’eau ». Une véritable passoire pluviale et thermique. Autour, un parc et un bois, en friche depuis un siècle et demi.

L’axe du bien


Mais les migrants à particule ne pouvaient pas faire autrement, cette succession était une obligation morale, une vénérable tradition, le bien se transmettant de génération en génération depuis sa construction en 1762. « Mon oncle est mort il y a trois ans, à 66 ans. Cela nous est tombé dessus un matin du mois de juillet, on n’avait rien demandé, ni organisé », s’excuse Guillaume (Presse‑O, 18/09/2021). Cette « folie » serait due à l’architecte nantais Ceineray, croit-il savoir de façon « quasi certaine » (les historiens sont beaucoup moins sûrs). Pour la galerie, le proprio appelle ça le « château » de Rochefort. Pour les services du patrimoine, c’est juste une « maison noble » avec la Sèvre nantaise en contrebas du coteau. La gentilhommière toise les manants depuis 1752, quand Marie-Thérèse de Luynes, veuve de Joseph-Martin du Goyon, achète la propriété décatie. Elle y crée avec son fiston Charles un domaine viticole industrialisé, copié sur ce qui se fait déjà dans le Bordelais. La fortune née du trafic négrier et de l’exploitation des esclaves aide les braves investisseurs. Le « bois d’ébène » réinvesti en cep de vigne. Mais, chut ! Ce noir passé est soigneusement zappé par le story telling distillé depuis le retour sur les terres ancestrales par Guillaume de Rosnay qui, heureux hasard des unions successives, a gardé sa particule en dépit des vicissitudes. Bel exemple d’aristorésilience.


Briques publiques, pierres privées


Le néo châtelain, qui soigne sa com”, a colonnes grandes ouvertes dans la presse locale. Pour les photos, il affectionne les tenues où domine souvent le rose, saumon ou bonbon, selon, ou s’affuble de grosses bretelles, ça fait tellement gentleman farmer. So chic ! Il met volontiers en avant ses six enfants « dégourdis et bricoleurs » qui, avec papa maman, « ont retroussé leurs manches et travaillé dur pour redonner vie » à la baraque qui, miracle, a été classée en juin 2018 monument historique, exemple de « maison des champs » avec deux pressoirs d’époque, une trentaine de fenêtres dans leur jus, des communs (gommés du discours, ça fait trop vulgaire), une partie des 18 hectares de vignes en conversion bio pour produire du « muscadet de qualité », le millésime 2020 ayant topé deux étoiles au guide Hachette des vins. Reste à atteindre le véritable objectif : se faire financer le chantier de rénovation, estimé à 1,5 M€. Une affaire bien partie : outre le jackpot du loto du patrimoine, État, Région et Département porteront le total des subventions à 800 000 € (Presse‑O, 21/12/2021) mais le maître de céans espère récolter 1,2 M€ (Presse‑O, 02/01). Sans compter les mécènes prêts à ouvrir leur carnet de chèque défiscalisable. Via la Française des jeux, le monument historique privé sera déjà retapé grâce aux perdants des jeux à gratter ou de l’Euromillion. Le qui-perd-gagne a ses petits profiteurs.


Arrières versaillais


De quoi gonfler le moral des proprios dont l’épargne atteindrait à peine 160 000 malheureux euros après avoir vidé toutes leurs poches. Enfin, presque toutes. Car l’entrepreneur qui « aime avoir beaucoup de projets », confie, admirative, son épouse, s’appelle dans son autre vraie vie Philippe-Guillaume Delong de Rosnay. Début de carrière en milieu bancaire, formation en informatique, il gère quatre sociétés, deux entités immobilières, un cabinet de conseil en gestion et la société Beetween, à l’origine cabinet de recrutement devenu éditeur d’un logiciel destiné aux recruteurs. Philippe-Guillaume détient également avec sa femme un pavillon cossu à Versailles. Mais, petit rejeton de négociants bénéficiaires déjà en leur temps de subventions royales pour leur engagement dans le commerce triangulaire, l’héritier reste accro au pognon public. Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on compte.


Théodore Botrytis