L’improbable piscine à bosses
Vague alarme
Énergie, sécurité sanitaire, terres agricoles sacrifiées… Le surf park doit essuyer quelques méchantes vagues.
À Saint-Père-en-Retz, le projet de « La Bergerie surf camp » serait à huit kilomètres de la mer, à vol de mouette… Pour construire ce bassin artificiel et créer le besoin, les promoteurs du projet, l’orthodontiste nantais Stéphane Bouchonneau, son neveu Alexandre et un troisième associé, Thibault Coutançais, miseraient 15 M€. Une misère. Hébergement, club-house, bar, resto, boutique, épicerie, pôle médical, accueil de séminaires : ce projet immobilier annonçait un début de travaux imminent pour ouvrir en 2022. Le coronapataquès rajouterait un an. Les investisseurs tablent sur 100 000 entrées l’an, « hypothèse plutôt pessimiste », dit Thibault Coutançais à Lulu. Ils espèrent attirer les champions des Jeux olympiques 2024 pour une trempette d’entraînement, sauf que ces JO ont banni l’hypothèse d’une épreuve de surf sur vague artificielle et que les Landes et leurs machines à vagues sont sur les rangs aussi, avec de meilleurs atouts.
Grande surface
Bassin béton et inox, 200 mètres de long, 85 de large, le parc où d’énormes souffleries fabriqueront des vagues annonce un mix énergétique très flou, « panneaux photovoltaïques ainsi que différentes sources de production d’énergie », sans rien préciser ni chiffrer.
Développée par la société American wave machine, la technologie californienne Perfectswell peut générer jusqu’à 180 vagues par heure. La version Loire-Inférieure table sur « 400 à 500 kWh en moyenne », associant chaque vague à une dépense énergétique d’1 kWh. Bon an mal an, environ ce que consomment 16 500 frigos, sans compter le coût des douches, restos, rinçage du matériel, etc. Selon les opposants de l’asso Terres communes, une heure de surf dépenserait autant que « trois semaines de consommation d’eau et trois jours d’électricité dans un foyer moyen ». La dépense d’eau potable du réseau serait de 57 000 m3 d’eau selon Pays de Retz environnement, 11 000 m3 selon les organisateurs. La police ne donne pas de chiffre. « Il y a énormément de variables. Tous les jours, avec les bureaux d’études, on gagne les milliers de litres en retravaillant le design. Aucun dossier officiel n’est encore déposé auprès des services de l’État », dit Thibault Coutançais.
Amibe tueuse
Question sanitaire, le modèle ricain a connu un sérieux hic. Le surk park de Waco, Texas, que les promoteurs nantais ont visité pour en adopter la technologie, a été fermé pendant six mois, aussitôt après la mort d’un surfer de 29 ans, Fabrizio Stabile, 13 jours après avoir baigné dans ses vagues en septembre 2018. Il y a chopé l’« amibe mangeuse de cerveau » alias Nægleria fowleri, qui rentre par le nez et provoque la mort dans 97% des cas, selon le Center for disease Ccntrol texan. La mère du surfer attaque en justice le park de Waco et réclame un million de dollars, son avocat estimant que « les eaux teintées en bleu vert du bassin masquaient « une soupe pathogène » » (CBS news, 18/04/2019). « La bactérie, on ne l’a pas retrouvée dans le bassin de surf… », tente Coutançais. Gros doute de l’avocat de la victime qui dénonce un apport de chlore dans le bassin de surf après l’accident et juste avant les prélèvements des services sanitaires officiels, lesquels n’ont pu constater que des « conditions favorables » à l’amibe fatale. Et selon deux infectiologues, chercheurs d’Atlanta, le réchauffement climatique devrait accentuer les risques de ce bouillon d’amibe* dans les zones tempérées.
Eau verte
Mais la Bergerie surf camp promet une eau filtrée sans traitement chimique. Notamment grâce à une catégorisation administrative : « Pas de chlore du fait du classement en bassin de « baignade artificielle », souligne Coutançais, ajoutant : On nous accuse de greenwashing, mais on est conscients de l’urgence climatique. » Ah… Le projet jure qu’il « défend les valeurs écologiques et le respect de la nature du surf », même si l’associé dentiste s’avoue « conscient qu’on ne peut pas se permettre d’avoir un impact très négatif sur l’environnement » (Europe 1, 06/07/2019). Mais modérément négatif, ça lui va. L’étude environnementale n’est pas bouclée. Et tant pis si on sacrifie des terres agricoles, qu’un changement de plan d’urbanisme a opportunément requalifiées en terrains de loisir à faire du surf à la campagne. Et tant pis si, en juin 2019, le président du département a surpris en traitant le projet d’« aberrant, anachronique et saugrenu ». Déclaration fracassante, étonnante pour un ardent défenseur d’un aéroport dans le bocage à ND-des-Landes, à la tête d’un département champion en artificialisation des sols**.
Loisir d’impatience
Et tant pis si, auprès des surfers, ces piscines à vagues mécaniques, entre quatre murs de béton, sont décriées car contraires aux valeurs du surf. Fini l’accès à l’océan gratuit, fantasque, imprévisible. Car le vrai surf est histoire de patience. De chasseurs à l’affût sur le haut de la dune, de sages observant l’horizon sur leur rocher, prêts à devenir eux-mêmes l’eau en mouvement souple. Du temps étiré à attendre le bon train de vagues à chevaucher, en tenant compte des éléments : houle, vent, marée, météo, philosophie. Ringard tout ça. Les vagues seront sur commande, pilotées par ordinateur 7 jours sur 7, dix à onze mois de l’année. Tarif : de 35 à 45 euros pour une heure de surf. Le projet surnagera-t-il aux lendemains moroses du confinavirus ? « Oui, ça rajoute une inquiétude », concède Coutançais… Il est encore temps d’envisager un nouveau concept de surf, à sec dans un champ de pâquerettes.
Kelly C. Youlater
* Primary Amebic Meningoencephalitis : What Have We Learned in the Last Five Years ?, Jennifer R. Cope, and Ibne K. Ali, 2016.
** Les déménageurs bétons, Lulu n° 105 – 106.
Le 20 juillet 2019, les opposants au projet, paysans et écolos, avaient prévu un rassemblement sur le site convoité par le projet de surf park. Face à eux, des paysans locaux très remontés, armés de bâtons, de marteaux. Un tracteur fonce sur les militants écolos. Les gendarmes regardent en l’air. Il a fallu démonter les installations pour tenir le rassemblement à quelques kilomètres de là.
Vagues à l’âme
Avant la panade économique due au confinavirus, les parks à vagues, c’était hypertendance. Même si l’apocalypse est tombée sur les deux sites australiens, dans un Queensland ravagé par les flammes en novembre, et à Melbourne fermé en janvier après les tempêtes de poussières brunes dues aux incendies géants. Un projet à Nantes, Magic swell, porté par Bertrand Marc, actuellement à la tête d’un cabinet conseil aux entreprises, cherche un terrain, et espère ouvrir en 2021, avec pour le moment une communication très discrète. Projets en Vendée, dans les Landes, mais les dossiers de Lacanau et Bruges en Gironde ont été abandonnés en 2019, les élus ayant reconnu « l’hérésie écologique et économique ». Il y a d’autres surf resorts en cir-cuit fermé en Californie (qui ne manque pourtant pas de vraies vagues), aux Canaries, en Thaïlande, Afrique du Sud, Suisse, Angleterre, Écosse, et même à Dubaï en plein désert, au pied des montagnes pelées. Un vrai caprice de rois du pétrole.