La mort à problème d’un garçon sans problème
C’est l’histoire pas très marrante de parents qui n’ont toujours pas fait le deuil de leur fils. Et dénoncent l’enquête de la gendarmerie constellée « d’anomalies ».
Officiellement, Stéphane Sonnic, 21 ans, s’est suicidé en s’allongeant sous les roues du Nantes-Paris dans la nuit du 11 août 1995, à Sainte-Luce-sur-Loire. Sans laisser de mot d’excuse, si ce n’est un étrange « post-it » dans sa chambre : « Rendez-vous jeudi 10, 22 h 30 étang du Plessis », à deux pas de la voie ferrée.
L’enquête sur place est menée au pas de charge. Une demi-heure au mieux pour fouiller le corps, le déplacer et rétablir la ligne SNCF, un coup d’œil alentours, pas de témoin, mais bon sang c’est bien sûr, il s’agit d’un suicide tout ce qu’il y a de plus réglementaire. Pas de quoi jouer les Navarro.
Le médecin généraliste requis sur place joue, lui, les empêcheurs d’enterrer en rond. À son arrivée, le corps était déjà enveloppé dans une housse, genre prêt-à-classer. Les pandores ont beau lui certifier qu’il s’agit d’un suicide, l’agaçant toubib refuse de délivrer le permis d’inhumer : « J’ai trouvé maladroit la façon dont les gendarmes présentaient l’affaire, je n’ai pas compris non plus leur mauvaise humeur. C’est surtout ça qui m’a surpris.» À tel point qu’il en avisera son conseil de l’Ordre.
Des surprises, le père de Stéphane en découvrira bien d’autres lorsqu’il obtiendra le dossier judiciaire, deux ans après le drame. « Des investigations tout à fait superficielles ont été entreprises plus de trente heures après la découverte du corps. Le gel des lieux n’a pas été effectué, aucune empreinte n’a été relevée…» Mieux, il mène en famille sa propre enquête. Son beau-frère et un voisin ratissent le quartier et découvrent dans un fossé, entre la maison et la voie ferrée distantes de 400 mètres, la poche arrachée d’une chemisette. L’indice est remis aux gendarmes, qui classent.
Des voisins témoigneront de bruits inhabituels devant la maison des Sonnic à l’heure du mystérieux rendez-vous. D’autres témoins décrivent Stéphane comme un garçon sans problème, très sportif, sociable et d’humeur toujours égale. Mais qui avait peut-être une vie plus agitée qu’il ne le laissait voir. Ainsi, une ancienne petite amie témoigne qu’un an auparavant Stéphane lui a raconté une drôle d’histoire : sa rencontre avec un personnage plus âgé que lui, mêlé pendant son service militaire à des histoires de renseignements… Et qui l’emmène la nuit sur les parkings interlopes de la Beaujoire « afin de constater que des histoires d’échange de drogue, de prostitution de travestis avaient lieu fréquemment…» Une virée décrite comme « à risques » par Stéphane. Autant d’éléments qui ne sont pas selon les gendarmes « de nature à orienter l’enquête vers un homicide volontaire.»
Le père, reçu comme un chien dans un jeu de quilles par les gendarmes et le juge, refuse cette enquête « bâclée » et veut connaître la vérité. Cet ancien conseiller municipal a fait appel du non-lieu prononcé en 97, ce qui commence à sérieusement déranger dans le bourg. La procédure est classée sans suite par le parquet de Nantes le 12 mars dernier. Les figures hier amies se détournent. Pensez… Deux ministres en exercice à l’époque des faits, Millon et Toubon, assurent dans un courrier au député du coin que « tout a été mis en œuvre pour déterminer les causes et les circonstances exactes de la mort de ce jeune homme.» Ils étaient dans le train et ont tout vu, sans doute.
Bref, Stéphane Sonnic, « qui passait pour un garçon gai et aimant s’amuser » est mort une belle nuit d’août sans autre raison que de s’être fait décapiter par un train. Et le fait qu’on n’ait pas retrouvé l’ombre du plus petit indice sur l’un des trains de cette nuit-là ne change rien à l’affaire, qui est entendue.