Le député a craquelé la gueule à Jésus
Iconoclastie
4,9 m² de peinture ont failli se faire escamoter par un éminent amateur d’art, chevalier de l’ordre du Mérite et cumulard. Au passage, on a plié la trombine à Jésus, roulé dans la poussière et gardé en viager.
Un type s’est fait descendre. Un certain Jésus. On a retrouvé la photo d’époque. Miraculeusement. Un tableau du XVIIe siècle, une descente de croix, avait été distrait du patrimoine de l’église du patelin vendéen de Mouzeuil-Saint-Martin. Député européen, conseiller régional, maire de Luçon et grand amateur d’art sacré, Dominique Souchet en était le détenteur illégal. Mais il n’a pas pu profiter de son acquisition douteuse. Il a du rendre cette toile du XVIIe tardif, signée par Pierre Besnard II, peintre angevin de la fin du règne de Louis XIV. Le tableau avait été repéré dans les archives par le conservateur des objets d’art de la Vendée, fonctionnaire d’état qui a pisté la traçabilité de l’oeuvre grâce à un document de 1690 évoquant ce tableau, jusqu’à sa présence dans l’église au milieu du XXe siècle. Démonté de son châssis vermoulu, le tableau est alors oublié dans le presbytère. Pas perdu pour tout le monde. La toile avait été escamotée depuis une dizaine d’années : « Celui qui avait ce tableau savait très bien ce qu’il faisait », explique à Lulu le conservateur des objets d’art, Richard Levesque. Les investigations du maire et du conservateur des objets d’art ont déniché la toile. C’est un papy de Mouzeuil faisant office de bedeau qui a fini par vendre la mèche : oui, il a bien vendu la toile. Puis il s’est repris, en fait, il l’a juste confiée pour restauration à Monsieur Souchet. Qui n’a pu nier détenir la peinture. Bien que président du Centre vendéen de recherches historiques, Monsieur Souchet a eu la mémoire courte. Au point d’oublier que depuis 1905, les propriétés d’une église sont des objets de culte appartenant au patrimoine communal, et donc parfaitement inaliénables. Légalement, toute vente en est imprescriptible. Diplomate de carrière et amateur d’art, Dominique Souchet était pourtant bien désintéressé puisqu’il n’avait même pas déplié ni restauré la toile de 2 m sur 2,45 m pour l’accrocher chez lui. Le conservateur l’a récupérée dans un état lamentable, roulée, repliée en deux, la pliure occasionnant une « cassure du visage du Christ ». Triste Vendée où l’on craquèle les idoles…
Mais pourquoi récupérer un tel trésor si c’est pour le laisser moisir presque dix ans ? Doublement sollicité, par oral et par écrit, Dominique Souchet n’a pas daigné répondre à Lulu. Le maire de Mouzeuil aurait bien une idée sur la question. Le bedeau ayant 75 ans, il suffisait d’attendre son enterrement pour voir disparaître le seul témoin de la captation. C’est quand même agaçant, ces vieux qui s’obstinent à durer !
Enfin, tout est rentré dans les ordres puisque le tableau qui n’aurait pas dû se trouver chez Sieur Souchet a retrouvé sa place dans l’église. Considérée comme « inestimable », cette toile rare, aujourd’hui restaurée, est « peut être le plus beau des tableaux présents en Vendée » selon le conservateur des objets d’arts. Elle pourra désormais être prêtée aux musées qui en feront la demande. À l’époque de la soustraction, Dominique Souchet rédigeait un ouvrage d’importance publié chez Stock : Vendée, mémoire et audace. Son stock d’audace vient de perdre une pièce maîtresse.
Enrico Noclasse