Pour qui sonne le gladiateur
Avé Villiers
Inondés de la Somme, consolez-vous. Certains ont vécu pire. Au Puy-du-Fou, la pluie a empêché de finir de peindre les gradins.
Ça se passe au Puy-du-Fou, en Villiérie centrale. Vous savez, chez Villiers, le scénariste du spectacle. Cette année, il a mis des Romains dans un stadium gallo-romain flambant neuf. Ou plutôt trempé neuf. Ça lui a gâché la première, ces intempéries. « Vous allez voir un spectacle pas rodé, pas encore au point, s’est excusé le père fondateur. Depuis septembre, il n’a pas arrêté de pleuvoir. Regardez les gradins, on n’a pas fini de les peindre*.» On attendait une petite pique contre Pasqua, mais le mentor-en-scène du bocage ne s’est pas mouillé. De quoi il se plaint, pourtant ? Il a bénéficié d’une animation grandeur nature, un remake du Déluge avec un petit air Deus ex Machina qui devrait lui plaire. Mais non. Il boude. Ses Romains d’opérette sont tout mouillus. Même pas eu le temps de sécher. Encore moins de répéter.
Certains petits malins diront pourtant que l’histoire de la chrétienté façon péplum à mogette, a comme tendance à répéter les manipulations de l’histoire en image d’Épinal. Écoutons Ouest-France : « On retient son souffle lorsque lions et tigres entrent dans l’arène et se dirigent vers l’héroïne attachée à deux poteaux (…) Soline, chrétienne éprise du centurion Damien, celui-là même qui, au nom de sa foi, ose défier le gouverneur Marcellus ».
Historien qui fait toujours autorité sur la période, Edward Gibbon est l’auteur en 1776 du volumineux Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, livre de chevet de Clemenceau et de Churchill et toujours best-seller au long cours. Il y explique notamment que le martyre des chrétiens est plus complexe que ne l’ont colporté « les anciens apologistes du christianisme » : ces bons auteurs ont censuré la conduite surprenante des juges de Rome refusant pour « la plupart le rôle odieux de persécuteur », cherchant à éviter la mort à ces cathos mordicus, « suggérant aux chrétiens les moyens d’éluder les sévérités de la loi », ne recourant à la question « pour arracher non l’aveu, mais la dénégation du crime » de cette croyance nouvelle, secte concurrençant le polythéisme romanicus. Gibbon cite Origène, saint Cyprien et saint Denys, qui attestent formellement que « le nombre des martyrs était peu considérable » et a été « fort multiplié ». Dignitaire en vue de la chrétienté, ce saint Cyprien, évêque de Carthage, a survécu sans être jeté aux lions – alors qu’au même moment « quatre empereurs romains furent massacrés en l’espace de dix années » – avant d’être quand même zigouillé. La sentence proclamée, une foule de chrétiens s’offre, sans succès, de mourir avec le gourou. Ces volontaires furent épargnés « avec indignation et mépris » par les Romains.
Gibbon cite l’étonnement des anciens philosophes devant cette quête du martyre, attribuant ce désir de mort à un mélange de « désespoir obstiné, d’insensibilité stupide ou de frénésie superstitieuse ». Comme les fous de Dieu de l’Islam actuel, on cherchait à éviter purgatoire et ses vieilles revues de salle d’attente pour accéder direct au panthéon éternel.
Mais qu’importe à Villiers ces finasseries sur les martyrs volontaires. Il a un parallèle à tenir : guerres de Vendée, Antiquité, mêmes combats. République, Empire romain, même tintouin ! C’est la foi qu’on pourchasse. Et pour amuser le bon peuple qu’une démonstration aurait assommé, il reconstitue « cinq tableaux inspirés de cinq péplums : le récent Gladiator, Spartacus, Ben-Hur, Quo Vadis et Cléopatre**». La plèbe veut des jeux. On lui donne des chars, des lions, des gladiateurs et des chrétiens persécutés. Ce qui est assez peu admissible : ces intermittents du spectacle sont payés même quand on ne les tue pas.
Cléo Pitre
* Ouest-France, 2 mai 2001
** Ouest-France, 2 mars 2001
*** Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, coll. Bouquins, Éd. Robert Laffont.