Trafalgare
Escalator et à travers
Une gare enjambant les rails, c’est bien joli, mais le populo s’en tape. Il passe dessous.
On leur fait une belle gare déguisée en galerie marchande pimpante, vitrée de haut en bas comme dans un aéroport, hyper moderne, on y met des boutiques, des fast-boufs, un supermarquette. C’est terriblement innovant. Et pourtant, les gens (ah ! les gens…) boudent. Préfèrent passer par le vieux souterrain tout moche. Trois ans de travaux et 1 32,5 M€ pour créer une passerelle mezzanine, 18 escalators, huit ascenseurs, et flop. De fait, avant cette passerelle, 600 000 personnes utilisaient le tunnel pour traverser la gare par en dessous, sans s’y arrêter (Place publique, janvier 2016). Et elles continuent. Si c’est toujours plus rapide en souterrain, pas de raison de grimper et dégrimper pour faire plaisir aux aménageurs. Ces radins de gens pressés refusent de devenir des clients.
À peine inaugurée, la nouvelle gare avait subi des fuites. On a mis des seaux. Un an après, les voyageurs sont toujours dans la fuite, persistant à souterrainer pour accéder aux quais. « On s’y attendait un peu, les habitudes sont longues à se défaire », dit la cheminote en chef des gares de l’Ouest (20 minutes, 24/02). Ingrat.es, les incultes snobent la signature de l’architecte prestigieux, Rudy Ricciotti. Ce grand maître starchitecte avait pourtant bien expliqué que « la mezzanine est définie par des structures organiques renvoyant à une vision fictive et interprétée de la nature : la gare est ici exprimée comme étant l’antichambre d’un ailleurs ». Grâce à ce « pont arboré et habité », Johanna Rolland avait pourtant prédit cette « gare du XXIe siècle sera pleine de vie ». La filiale Gares & connexions de la SNCF appelle ce genre de projet de nouvelles gares des « city boosters », « centres nerveux et vitaux des villes de demain ». La gare cache une machine à cash : « Cette fertilisation du passage et de l’attente des usagers renvoie au modèle de l’aéroport, qui a dépassé son statut de pôle de transport pour devenir un véritable centre commercial*. » Fantasmant sur une « nouvelle transversalité », capable de « déjouer son propre impact sur le territoire », un des chefs de projet a qualifié le nouvel édifice de « multiprise géante »*. Sans risque de disjoncter, y a pas de courant.
Edgar Dunor
*Gare à l’espace public ! Étude du projet de la gare de Nantes, figure du renouveau des gares ferroviaires en France, Esther Donikian, école d’architecture de Nantes, 2020.