Harcèlement pilote à l’AFPA
Craque ma poule
Pousser ses salariés à bout est un plaisir qui se doit d’être varié. Employeur modèle, l’AFPA s’y est employée en gratifiant une secrétaire handicapée d’un catalogue exhaustif de ce qui se fait de mieux en matière d’acharnement.
L’association de formation professionnelle des adultes de Saint-Herblain a un handicap. Elle ne sait pas gérer une de ses salariées, handicapée. Malgré le contrat de progrès signé il y a deux ans avec l’État pour l’emploi des handicapés. Même si le journal interne professe : « Il ne faut pas nier que l’insertion professionnelle d’un handicapé suppose que l’employeur mette en œuvre les moyens nécessaires pour compenser le handicap (aménagement du poste de travail et/ou de locaux nécessaires, réorganisation des tâches, de la formation, accompagnement individuel)». Concrètement, l’institution de service public dérape sur le cas de Marie-France Bouteiller contre qui tout le catalogue des mesures discriminatoires semble avoir été épuisé, avec un sens aigu du tragique de répétition.
Panne décence
Secrétaire à l’AFPA depuis 1972, Marie-France est reconnue travailleur handicapée catégorie B avec 3% d’incapacité permanente : station debout pénible, pertes d’équilibre, hypotension, syncopes. L’AFPA se réorganisant, le département dont dépend la secrétaire est dissous. En 1996, on lui promet donc un reclassement décent. Elle est affectée à l’enseignement à distance. « Puis d’un seul coup, je ne faisais plus l’affaire. J’étais dangereuse pour les stagiaires », raconte-t-elle. « Manque de rigueur, oublis, problème relationnel », dit de son côté l’AFPA.
Le directeur du centre de Nantes ne lui octroie alors que des « chantiers circonscrits, de durée limitée », dûment « évalués » au fur et à mesure. Comme un cancre en échec scolaire. Après un quart de siècle d’ancienneté dans la boîte, on la découvre manquant de fiabilité, pleine de mauvaise volonté. Peu importe son handicap. Elle devra accrocher des annonces d’emploi sur un tableau plus haut qu’elle, debout les bras levés, alors qu’elle fait des crises d’hypoglycémie. On lui reprochera à l’occasion des punaises mal enfoncées. Jusqu’au jour où elle fait un malaise. On doit appeler SOS Médecins. Pas fini : le directeur s’oppose à ses dates de congés, puis déménage son bureau sans la prévenir pendant ses vacances, l’installe « provisoirement » dans une vague cafétéria.
En octobre 2000, la direction des ressources humaines lui suggère lourdement de démissionner. A défaut, on lui refile du secrétariat à distance, en la rattachant à un service parisien, mais en lui interdisant l’accès au fax, et à la photocopie. Des fois qu’elle soit tentée par l’espionnage industriel. Elle est la seule à subir un contrôle de ses entrées et sorties, comme ce bon vieux pointage d’usine. Seule à se voir supprimer sa case courrier, ainsi privée de notes de service, de compte-rendus de délégués du personnel.
Farce de frappe
On la prive de travail, ou on lui refile une tâche enthousiasmante : la frappe au kilomètre d’un manuel d’initiation au langage informatique ASCII. Une corvée qu’on n’ose plus donner qu’à un scanner. « Un bouquin lugubre, vraiment pour la faire chier, atteste Jean-Yves Le Pelletier, délégué FO. L’AFPA, service public est ici en dessous de tout. Elle est handicapée, ne coûte d’ailleurs pas cher, une bonne part de son salaire étant pris en charge par la COTOREP. L’AFPA, grande maison, pourrait facilement lui trouver un petit boulot tranquille en respectant le droit du travail et la dignité due aux handicapés !»
Bannissement intérieur
Elle est sommée de s’exiler dans un bureau isolé, entre la déchetterie et la chaufferie, au sein d’un bloc de 60 chambres vides, où elle ne verrait âme qui vive de la journée. Le médecin du travail et le CHSCT, Comité hygiène, sécurité et conditions de travail s’opposent à ce goulag. Elle reste dans sa salle de pause, cafétéria de passage. Même si son bureau est jugé non conforme par un ergonome : table trop petite, écran d’ordinateur trop près, trop haut, trop petit. Sans même un tapis de souris ! « C’est pas une personne avec qui c’est simple de travailler, dit Joseph Houget, directeur du centre de Saint-Herblain. Est-elle réellement apte au travail ? On veut bien aménager son poste de travail, mais il faut en retour un travail correspondant à ses 25 heures hebdomadaires. Je ne suis pas un sauvage, mais je crois avoir tout essayé pour elle. Personnellement, j’en ai assez.»
Le 26 janvier 2001, la directrice du personnel la convoque pour un « entretien préalable à une éventuelle sanction », pour punir le crime de s’être présentée à une visite médicale accompagnée par un délégué du personnel. Pure intimidation : la menace de sanction tourne court. Pas du genre à se soumettre, la secrétaire craque quand même, plus physiquement que mentalement. En juin dernier, l’employeur la soupçonne de maladie imaginaire et lui envoie un contrôle médical à domicile. Seule locataire de son immeuble à avoir refusé rénovations et hausses de loyer, Marie-France est privée d’interphone. Le toubib repart bredouille sans l’avoir trouvée. Du coup tombe un incroyable recommandé de la directrice du personnel : « Je vous informe que l’AFPA, à titre conservatoire, suspend votre rémunération tant que cette contre-visite n’aura pu être effectuée ». Revenu faire sa contre-expertise, le toubib constate que l’arrêt maladie n’est pas bidon. Mais le salaire reste bloqué plus de quinze jours, jusqu’à l’assignation de l’AFPA aux prud’hommes.
Précipité d’acharnement
En s’octroyant la part des indemnités journalières que la Sécu verse à l’employeur, l’AFPA s’expose à des sanctions judiciaires pour « enrichissement sans cause », note au passage un inspecteur du travail. Le blocage de la paie a valu à l’AFPA d’être condamnée en référé par les Prud’hommes le 9 août 2001.
Le jugement précise que « l’AFPA a donc agi avec acharnement et précipitation ». Le 20 juin et le 21 au matin, Marie-France Bouteiller reçoit chez elle 21 appels de son employeur chéri qui laisse retentir 379 fois la sonnerie, comme l’atteste France Télécom qui conseille à sa cliente de porter plainte pour harcèlement téléphonique. En novembre, Marie-France demande des heures de récupération pour formation syndicale, auxquelles elle a parfaitement droit. La réponse tombe comme une riposte, on lui assigne un autre boulot bête et méchant de frappe d’un manuel rébarbatif de formules d’initiation
à l’électricité.
« Tout ça est quelque part un peu de sa faute, dit Marie-Christine Griffoul, responsable des ressources humaines. Elle n’est pas suffisamment compétente, elle a tendance à bavarder dans les couloirs et d’autres fautes professionnelles que je ne tiens pas à évoquer. Nous n’avons pas à rougir de ce qui a été fait. » Récemment, le directeur général, Gilbert Hyvernat écrivait : « L’insertion des handicapés dans nos effectifs est un challenge à relever ». Sans doute après leur avoir marché dessus.