Les voies du licenciement sont impénétrables
Du balai
Au lycée, on ne jette pas l’argent pas les fenêtres. On jette les gens.
Quand la baisse des ouailles scolaires fut venue, l’école catho se trouva fort dépourvue. Ce n’est pas une fable, mais un drame socio-arithmétique qui se déroule au lycée privé professionnel Saint-Donatien, à Nantes, à un quart d’heure à pied du centre ville insouciant. Une bien triste histoire en ce quartier que les vieux Nantais nomment « la Terre Sainte ». Voulant faire des économies, après un déficit de 800 000 F et une étude montrant qu’il y a trop de balayeuses pour le nombre de mètres carrés, le lycée vire deux femmes de ménage. L’une des deux, Réunionnaise qui a quitté l’île et sa famille à la naissance de son enfant, a été prise sous l’aile protectrice d’une famille de bons catholiques qui la dorlote en l’emmenant en pèlerinage en Bretagne. On couche chez des bonnes sœurs, c’est sympa.
En plus de ce tourisme de bénitier, Marie-Céline la Réunionnaise est placée comme balayeuse au lycée catho. Jusqu’au jour où le président de l’OGEC qui gère l’école, Thomas Béliard, dans le civil à la tête de la grosse pharmacie du quartier*, fait signer aux deux techniciennes de surface un protocole léonin visant à garantir l’institution des recours bassement terre-à-terre de la part des deux femmes balancées comme de vieilles serpillières. « Par sécurité, nous avons fait appel à un cabinet d’avocat spécialisé en droit du travail qui s’est carrément planté en rédigeant ce protocole sensé verrouiller la procédure, et qui s’est retourné contre nous. On a pris une pelleteuse pour faire un château de sable, comme si on licenciait un cadre », soupire Thomas Béliard. Ce protocole, sans la moindre valeur légale malgré les signatures, cherchait à exonérer l’établissement des devoirs d’un licenciement économique, les signataires s’engageant à ne pas contester leur éjection, déguisée en « départ négocié ». Comble de l’élégance, le bien pensant pharmacien-président (« bénévole pour le lycée », tient-il à préciser) a fait signer ces papiers entre midi et deux, sur un coin de table, alors que Marie-Céline ne lit pratiquement pas le français. Elle n’a tellement pas compris ce qu’on lui a fait signer qu’elle a apposé sa griffe deux fois, sous son nom et sous celui de l’employeur. Comble de l’ingratitude, pour ne pas dire injure à la charité chrétienne, Marie-Céline a porté l’affaire devant les prud’hommes. Le 16 mai dernier, ces juges ont décrété le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur, l’association « Ogec LPP Saint-Donatien », à payer 8 057 euros à son ancienne femme de ménage, pour le préjudice subi et les frais de justice. Ca fait vraiment mal au cœur de faire le bien des gens.
* Déjà rencontré par Lulu pour des médicaments fournis régulièrement aux petits vieux de la maison de retraite voisine, mais avec un peu moins de boîtes que sur les ordonnances. « Les vieux nantis privés de pilule », Lulu n° 14, septembre 1997).