La Douane enterre une taupe
Droit d’NS
Il était agent double des Douanes, le voilà pensionnaire démultiplié des administrations pénitentiaires.
Du fond de sa cellule, Marc Fievet compte les jours. En milliers maintenant. Incarcéré depuis septembre 1994 à Malaga, à Brixton, au Canada, puis à Villepinte et aujourd’hui au centre de détention de Nantes, l’ancien bourlingueur devenu sédentaire itinérant, pourra bientôt rédiger un guide des meilleures prisons du globe. Mais l’homme n’a pas toujours été taulard. Dans une autre vie, il était ce que les douanes appellent un « aviseur », l’une de ces personnalités un peu mystérieuses, discrètement infiltrées dans les réseaux des trafiquants de drogue, pour mieux les faire tomber. La première escale de ce passé mouvementé se joue à la fin des années 80, dans le port de Gibraltar, où la future « taupe » des douanes répare son bateau. Intrigué par d’étranges va-et-vient sur les quais, il s’immisce dans un milieu jusque là inconnu de lui et fourbit ses premières armes au contact des trafiquants. Comme toute peine mérite salaire, il imagine aussi les profits possibles et prévient les douanes nantaises. Promu agent infiltré, il sera désormais identifié sous le code NS 55. À l’occasion aussi, il assure lui-même le convoyage des marchandises d’un pays à l’autre et joue un double jeu dangereux, à mi-chemin entre gendarmes et voleurs. En septembre 1994, l’Angleterre et le Canada lancent contre lui deux mandats d’arrêt internationaux au motif qu’il aurait contribué à introduire plusieurs tonnes de cannabis et de cocaïne sur leurs territoires respectifs. D’emprisonnements en extraditions, NS 55 est fortement incité à plaider coupable et les douanes lui affirment que tout sera bientôt arrangé pour lui. Mais rien ne s’arrange vraiment. Présenté comme l’un des pontes mondiaux du narco-trafic, il est condamné en 1997 à la prison à perpétuité sans chiffres au Nouveau Brunswick. Si l’énoncé est effrayant, cette peine signifie en réalité qu’il peut bénéficier d’une permission de sortie dès 2001 et fait de lui un prisonnier libérable en 2004. Pourtant, la machine s’affole. Un an après sa condamnation, un trafiquant interpellé lors du même coup de filet est acquitté : l’homme, dès le départ, a plaidé non coupable. L’ancien aviseur des douanes, lui, est toujours en prison. Comme l’autorisent les conventions franco-canadiennes, il décide alors de purger la fin de sa peine en France. Mais personne ne l’informe de ce qu’il risque. En faisant cette demande, NS 55 ignore que sa condamnation au Canada trouve en France une équivalence de 20 ans de prison et fait désormais de lui un prisonnier libérable en 2017. Incarcéré à Fresnes, il entame en septembre 1999 une grève de la faim de 123 jours. Sans résultat. Bloqué dans la machine judiciaire, il ne peut plus désormais en sortir que par la grâce présidentielle et se heurte à un refus. Comme une cerise plantée en haut d’un gâteau trop lourd, il apprend aussi que sa condamnation peut aussi être assortie d’une peine de sûreté lui interdisant toute remise de peine ou libération conditionnelle. Incarcéré aujourd’hui au centre de détention de Nantes, NS 55 est brièvement sorti de sa cellule le 20 mars pour demander aux magistrats du tribunal correctionnel, visiblement troublés par ses récits, de ne pas appliquer cette mesure. Les juges, en l’exauçant, ont fait leur maximum. Le parquet en a fait de même en ne faisant pas appel de cette décision. La justice ne peut pas plus. Un deuxième recours présidentiel est en cours. Pendant ce temps là, la Douane s’est dédouanée sans rien avoir à déclarer.
* La cour des Miracles : que font les juges ?, Yves Bonnet, Flammarion. Écrit par un ancien patron de la DST, un chapitre du livre est consacré à ce « cas » un peu particulier.