Ouest-France : le quotidien se prend un pain
Quotidien du troisième âge, la fine fleur de la presse française a cueilli quelques mauvaises herbes dans son pré-carré.
Ouest-France, le journal le plus acheté en France, personne ne le lit vraiment. L’âge moyen de son lecteur qui ne lit qu’en diagonale, c’est 54 ans ! La culture, les quartiers, la politique et l’étranger font les plus mauvais scores. Sept articles sur dix touchent moins de 10 % des lecteurs… L’édito n’est lu que par 22 % des lecteurs. En pages locales, deux tiers des articles sont ignorés, ou peu lus. L’information économique ou régionale, rien ne passionne ce lecteur qui boude les rubriques. Voilà en gros les conclusions d’une enquête menée par une équipe du journal auprès d’un échantillon de 3000 lecteurs de Nantes, Caen et Rennes. Dénommée “T1” en interne, l’étude a été distillée discrètement à quelques pontes du quotidien et à quelques journalistes. Des camemberts en couleurs indiquent que les “articles peu ou pas lus” grimpent à 69 % à Caen, 67 % à Rennes et 64 % à Nantes. Les articles d’entretiens rebutent, les infos sur la Région ont un net déficit d’audience. “Deux articles sur trois ne sont pas lus dans les pages départementales et de grandes locales” : le SNJ, le syndicat majoritaire à Ouest-France, où il récolte 70 % des suffrages des 600 journalistes aux élections, a commenté la chose en février, dans un tract où sont retranscrites quelques conclusions de l’enquête maison : “Notre hiérarchie de l’info n’est pas celle de nos lecteurs (…) Nous surévaluons l’information institutionnelle et associative (…) On veut faire plaisir à tout le monde, on ne sait pas trier (…) Il n’y a pas assez d’enquêtes, de reportages, de dossiers approfondis, originaux (…) On couvre toujours le centre ville, les lieux de pouvoir institutionnel (…) On manque de réactivité, d’anticipation, d’un vrai travail collectif (…) On reproduit les mêmes erreurs faute d’une évaluation suffisante”. Le rapport stigmatise aussi les “papiers sans angle précis avec des citations creuses”. Le plus étonnant, c’est que ce réquisitoire sans complaisance n’a pas eu l’air de pousser la direction à rectifier le tir. Des enseignements ? Rien. On prend les mêmes faiblesses et on retartine. Le syndicat souligne pourtant la “critique sévère de la politique imposée depuis des lustres par la hiérarchie : religion de l’institutionnel, tout courir, ne froisser personne, et surtout pas les pouvoirs en place et parallèlement augmentation constante de la charge de travail”.
Le comité vérité confiance
Devant ce constat syndical, Francois-Régis Hutin et ses sbires l’ont joué hautain. Très sobrement intitulé “Vérité, confiance, et dialogue”, un communiqué du rédac chef Didier Pillet riposte aussitôt, accusant le SNJ de cultiver une “relation de défiance”, car “la communication de cette organisation (concernant des rencontres avec la direction) dénature, caricature à l’envi et fait une présentation biaisée de nos échanges. Leur contenu est rarement présenté dans ses buts, son contexte et sa globalité, comme le voudrait une attitude journalistique respectueuse des faits”, alors que, “les propos sont tronqués, déformés, sortis de leur contexte”. Résumé : pour le rédac chef, 70 % de son effectif serait ainsi composé de journalistes tendancieux, bafouant les faits, manipulant les propos. Bigre. Fâché, il menace de raidir le dialogue social en ne faisant plus que des réponses écrites aux réunions des délégués du personnel.
Quelques jours plus tard, la CFDT, l’autre syndicat d’Ouest-France, un cinquième des voix aux élections, y va de son bulletin dénonçant cette fois la “Money attitude” : “Nos dirigeants parlent de “rentabilité insuffisante” du journal. Ils laissent entendre que le quotidien serait le mauvais élève du groupe (lequel ne pense qu’à son trésor de guerre). Ils ne cherchent qu’à peser sur la masse salariale et réduire la pagination. Ils peinent à avouer que le journal qu’ils ont imposé depuis dix ans déçoit beaucoup trop de lecteurs. Les salariés ne supportent plus cette culpabilisation et cette pression permanente. Assez de mépris !” Faut dire que le cabinet américain A.T. Kearney audite le premier quotidien de France et du pays rennais, pour acquérir ce que le nouveau numéro 2 Francis Teitgen appelle la “culture de la nécessité de la rentabilité” avec un “souci permanent du client”. Les hautes sphères du journal estimeraient à 150 le nombre des emplois à économiser. Pourtant le journal a de bons résultats, et rembourse en trois ans 30,5 millions d’euros de dettes, en versant 16 millions d’euros de dividendes à la SIPA, la société qui chapeaute le groupe.
La CFDT revient sur l’étude T1 : aux citations déjà reprises par l’autre syndicat, s’ajoutent des morceaux choisis comme “on reproduit jour après jour les mêmes erreurs (…) On fait ce que le chef a dit de faire”, avec une présentation d’un article type : “pas d’info apparente, pas d’angle précis, manque de contenu utile, décalque des sources, apparence de vivant. L’annonce ressemble au compte rendu et vice-versa.” Boudiou. Pourvu que François-Régis ne sache pas que ça s’est su.