Le port au stade terminal
Gros bateaux
Deux milliards pour construire un terminal portuaire sur un désert, à un endroit où la Loire n’est pas assez profonde. C’est là le projet fin de siècle du port autonome. Grand !
Le port autonome de Nantes/Saint-Nazaire, dispose depuis une bonne vingtaine d’années d’une réserve foncière perdue sur la rive nord de l’estuaire, commune de Donges. Une espèce de no man’s land, où seuls quelques oiseaux migrateurs viennent batifoler de temps à autre. Un site inaccessible aux navires de gros tonnage en raison de la profondeur insuffisante du fleuve. Un désert où pas un matelot au monde n’aura jamais envie de poser son sac. C’est pourtant là, et pas ailleurs, que les patrons du port ont décidé de construire un nouveau terminal pour accueillir les cargos, notamment les porte-conteneurs géants. Coût de la plaisanterie : deux milliards de francs. Non compris, naturellement, le prix du déséquilibre hydraulique qui sera causé au fleuve par le creusement d’un nouveau chenal. Notons sur ce chapitre que les dragages intempestifs de l’estuaire ont déjà provoqué, depuis les années vingt, une baisse de 4 mètres du niveau de la Loire à Nantes. Aujourd’hui les quais menacent de s’effondrer mais le port refuse de les réparer, faute d’argent paraît-il.
« C’est le seul port d’estuaire au monde qu’on aménage vers l’amont », ont constaté en rigolant les experts hollandais appelés à se prononcer sur la faisabilité de Donges-Est. Un peu comme si on leur demandait d’étudier un projet de terminal pour supertankers au mont Gerbier-de-Jonc. Mais il faut plus d’un rapport d’experts étrangers pour décourager les dirigeants du port qui ne démordent pas de leur idée en dépit de la levée de boucliers qu’elle provoque, comme la plainte des écologistes pour non respect d’une directive européenne sur la protection des oiseaux actuellement instruite à Bruxelles.
Il existe pourtant deux projets alternatifs au terminal de Donges. L’un à Saint-Nazaire, soutenu par le maire, Joël Batteux, qui propose de faire un port là où il y a de l’eau, où il n’y a pas de petits oiseaux, mais des bars à matelots. Un projet moins onéreux évidemment, mais qui n’a pas l’heur de plaire aux grands pontes de l’aménagement portuaire. L’autre idée, un peu plus loufoque, consiste à aménager un port en eau profonde entre un banc artificiel, le banc de Bilho, et la rive nord de l’estuaire aux environs de Montoir. Projet qui aurait l’avantage, selon ses défenseurs, de restaurer progressivement l’équilibre du fleuve en laissant la Loire reprendre ses habitudes naturelles.
Le problème c’est que ces deux idées ne sortent pas du cerveau des ingénieurs du port. Et même si certains d’entre eux admettent en coulisse que les autres solutions ne sont peut-être pas complètement idiotes, il n’est pas question de remettre publiquement en cause Donges-Est. Quitte à se planter. C’est avec des logiques comme celles là qu’on a creusé le canal de la Martinière à la fin du siècle dernier (voir l’article). Bravo pour la réussite et merci de nous préparer un délire comparable pour le siècle prochain.