Henri IV en short à la Beaujoire !

Publié par lalettrealulu le

Édit de Nantes

Sonnez trompettes de l’histoire : Nantes berceau de la tolérance célèbre l’Édit de. Une idée généreuse qui manque de fond et utilise le foot pour vendre sa soupe. La relecture de l’histoire en poule au pot.

Après avoir ‑courageusement- lavé la honte de son passé négrier, après avoir zappé sur la mémoire inavouable des noyades de Carrier, Nantes cherchait une commémo plus positive. Plus « sexy », disent les pros de la com’. On a bien tartiné sur le berceau du surréalisme, mais le propos était un peu intello. L’édit de Nantes ? Parfait. Fêtons le chromosome nantais de la tolérance, idée pionnière dans la France déchirée par les guerres de Religion.

«Nantes peut donc s’enorgueillir d’avoir associé son nom à un des plus beaux actes de tolérance de l’histoire », claironne le comité nantais pour le 400e anniversaire. Sauf que.

Vieux poncif, l’idée que Nantes ait engendré ce formidable acte de tolérance est un parfait contresens historique. Ayrault a du le subodorer : en lançant le comité des célébrations en octobre 96, il tempère : « pas question de faire de Nantes, contre la réalité des faits, un haut lieu historique de la Tolérance », tout en rappelant pourtant « qu’il y a quatre siècles, ici, un espoir est né ». Espoir, ici ?

Métèques bretons, parpaillots, juifs

« A la fin du XVIe et au début du XVIIe, Nantes est particulièrement marqué par l’esprit d’intolérance », rectifie l’historien Alain Croix, spécialiste de cette époque. « Des émeutes ont lieu contre les réfugiés juifs marranes portugais venus du Maroc. Dès le XVIe, le petit peuple bretonnant subit une longue tradition de mépris. On fait aux Hollandais des procès sur fond de concurrence commerciale, mais ce sont les calvinistes qu’on vise. Bons catholiques, les Espagnols sont épargnés. » Pendant les guerres de Religion, Nantes qui soutient la Ligue boit les paroles haineuses de prédicateurs qu’on dirait aujourd’hui intégristes éradicateurs. Tel le bénédictin Jacques Le Bossu traitant le futur Henri IV de « porc sauvage sorti de la forêt d’hérésie ». Sympa.

Signé en catimini

En 1598, Nantes est la dernière ville à s’opposer militairement à Henri IV, qui entre dans la cité en chef de guerre venu occuper et « châtier une ville rebelle », extrémiste, finalement soumise après lui avoir farouchement résisté. Signé à Nantes en secret, l’Édit n’y a été ni élaboré, ni discuté, ni publié. « à part lui avoir donné son nom, Nantes ne tient pas une grande place dans l’Édit de Nantes », rappelle l’historien Jean-Louis Bourgeon, prof à la Sorbonne. Et aucun tableau, aucune gravure ne commémore la signature, « affreuse vexation » pour « la population nantaise dans son ensemble, fanatique et réactionnaire*». L’Édit reste secret pendant sept mois.
Henri IV craint les réactions des Nantais, cathos ultras réputés pour leur intolérance : ils n’apprendront la teneur du texte qu’un an après.

Le bantoustan de Sucé

Le qualifier d’acte de tolérance, au sens actuel, est aussi une extrapolation hâtive. Admettre une autre religion que le rite dominant est un progrès réel pour l’époque, mais « c’est pratiquement un édit d’apartheid, dit Alain Croix, accordant à des gens différents de pratiquer leur culte dans des lieux, des villes réservés ». Un peu des bantoustans pour pratiquants déviants. Pour les protestants nantais, la messe n’est tolérée qu’à Sucé, dans une grange. « Édit de Nantes ou pas, le sentiment antiprotestant a subsisté plus vigoureux que jamais au lendemain de 1598 », note J.-L. Bourgeon.

L’Édit, on s’en foot

Pour le quadricentenaire, banale opération de communication, l’emballage prime sur le contenu. Le dossier de presse des célébrations comporte une note historique succincte de deux pages, et dix pages d’allocutions d’Ayrault. Qui énonce clairement la stratégie : « La coïncidence des dates, qui place cet anniversaire l’année où nous accueillerons la Coupe du monde de football ‑le plus grand évènement médiatique de cette fin de siècle- nous offre sans doute l’opportunité de délivrer plus largement encore ce message de paix, par la liberté. » Espérons qu’Henri, maillot numéro quatre, claquera assez de buts pour nous submerger de retombées médiatiques. Et l’Édit, dans tout ça ? A la mairie de Nantes impossible d’obtenir une copie du texte original (qui ne fait que 32 pages), ou une simple transcription. Ce texte de référence, personne ne l’a. Mais patience. La ville a commandé 3 000 exemplaires d’un fac-similé commenté du parchemin des Archives nationales. Vite, vite, devenez cul et chemise avec Jean-Marc. Et si jamais on oubliait de vous faire cadeau du bouquin, ne criez pas au scandale. Faut savoir être tolérant.

*Nantes dans l’histoire de la France, collectif, Ouest Éditions, 1991