Tu l’as vu mon gros Leclerc ?
Arrête ton char
Guerre farouche entre grands surfaciers de l’agglo nantaise. Leclerc contre Leclerc. Les mètres carrés d’information anonyme côtoient les mètres carrés de construction illégale.
Une feuille anonyme diffusée fin novembre sous le manteau hurle contre un projet d’extension d’hypermarché Leclerc à Rezé, dénonçant « des m2 comme s’il en pleuvait ». Les informations émanent de la chambre de commerce alors que la guéguerilla fait rage entre deux frères ennemis de la même grande distribution, Joseph Laury, patron du Leclerc Butte-de-Praud (Rezé) et Michel Payraudeau, patron des Leclerc Atout-Sud (Rezé), Grand Val (Orvault), dirigé par son pâle fiston Marc, et d’un autre hyper à Toulouse.
Parodiant Le Canard enchaîné, la feuille Le Ragon déchaîné est sous-titrée « Signal d’alarme d’un quartier en colère », comme si elle avait été éditée par des voisins et contribuables en pétard contre le tranfert-agrandissement d’un hypermarché de Rezé : le Centre Leclerc Butte-de-Praud qui veut se réinstaller 800 mètres plus loin. Quelques documents internes à la Chambre de commerce cherchent à crédibiliser la publication cependant anonyme, sans notation d’imprimeur ni de responsable légal. La mairie de Rezé a porté plainte contre X.
Le Ragon déchaîné souligne que l’extension du Leclerc de Joseph Laury le ferait grimper de la 10e à la 2e position des plus grosses galeries marchandes nantaises, derrière Carrefour Beaulieu. Cette remontée fait bondir Payraudeau. Dans la galaxie Leclerc, où gravitent Payraudeau et Laury comme patrons indépendants de l’enseigne, ces classements sont primordiaux. Actuellement chargé de l’approvisionnement en essence de l’ensemble du réseau Leclerc, traitant directement avec Rotterdam, Payraudeau voit d’un sale œil ce rival enfler, au point de le reléguer dans le peloton des surfaces de l’agglo nantaise.
Musique de chambre
Juste à côté d’un fac-similé de compte rendu de la CCI, la reproduction du logo de la chambre tient presque lieu de signature. Distillée à quelques élus, journalistes et commerçants, cette pseudo feuille d’opposants locaux cache à peine la musique de fond : une farouche rivalité d’appétits entre concurrents de la grande distribution. En attaquant bisbille en tête le « tandem Laury-Floch » constitué par le directeur du Leclerc concerné et le maire de Rezé, ce Ragon masqué, qui aurait pu s’appeler « la Mare aux requins », sert les intérêts de Michel Payraudeau. Très bien introduit à la CCI où il siège depuis belle lurette, Payraudeau pratique, lui, le tandem à trois selles, avec Joseph Fourage, le patron des Leclerc Paridis et Atlantis, et Jean-Marc Ayrault en qualité de président du District. La mise en place du périphérique déterminant les zones de chalandise des enseignes autour de Nantes a beaucoup passionné ces grands surfaciers.
En avril 1996, opposé au premier projet de transfert du Leclerc Butte-de-Praud, le président de la CCI Alain Mustière avait fermement claironné : « Je ne veux plus que la Chambre de commerce serve de pompier que l’on appelle après avoir allumé soi-même l’incendie », ajoutant que le projet « n’a aucune crédibilité en matière de création d’emplois » ; pire, il « est dangereux pour l’équilibre de l’appareil commercial ». Le vent a tourné, la CCI, désormais présidée par Denis Batard, vient de voter en CDEC, (commission départementale d’équipement commercial*) pour Laury.
Surfaces hors la loi
Pour se consoler, Payraudeau sait qu’il peut compter sur la CCI pour le défendre, même quand il est hors limites. Ainsi, les réunions des 6 et 12 octobre 1998 de la CDEC, qui décide des nouvelles surfaces, l’ont bien servi : la CCI vote contre l’extension du bricoleur Leroy-Merlin sur la zone Atout-Sud de Rezé. Explication : cette surface, jouxtant le Centre Leclerc, appartient à Payraudeau, qui aimerait bien décourager son locataire Leroy-Merlin pour récupérer son terrain au cas où. Autre vote CCI favorable à Payraudeau, entériné cette fois par l’ensemble de la commission : officiellement, il s’agit d’extension de 778 m² du Leclerc Grand-Val d’Orvault, qui passerait sur le papier à 11 253 m². Il s’agit en réalité d’une fausse extension, vraie régularisation de surfaces construites illégalement et ouvertes au public depuis plusieurs années. En octobre 1995, une association de petits commerçants, la FACIL, dénonçait déjà – sans succès – « le refus de la Direction de la concurrence et la répression des fraudes de refaire la vérification concernant la surface de vente ». Le hasard veut que le directeur de cette direction de la concurrence, service de l’Etat, soit aussi conseiller technique à la CCI. Simple hasard.
Conjointement à cette légalisation a posteriori de mètres carrés clandos, la station service du même Leclerc d’Orvault a subi une « régularisation ». La demande note sans tousser les mêmes chiffres aux colonnes « actuellement, en m2 » et « surfaces futures, en m2 ». Normal, puisque l’installation est la même avant et après l’accord officiel : 14 pistes de ravitaillement desservant 7 îlots de 6 pistolets, soit exactement autant de pompes qu’à l’installation en douce.
Quand on pratique l’art des marges bénéficiaires, on apprécie de bénéficier d’une clémence pour des pratiques en marge.
- Les décisions s’emportent par quatre voix sur six, les six sièges représentant CCI, Conseil général, Ville de Nantes, commune du projet, consommateurs et chambre des métiers.