François-Régis fait vœux de pauvreté

Publié par lalettrealulu le

Papivore

S’il n’était pas dans une misère si noire, le patron d’Ouest-France rachèterait bien plus de journaux en détresse. Pas pour constituer un empire, non. Pour les sauver. Ce qui le motive, c’est le pluralisme des petites annonces, dont il applique l’esprit à toutes sortes de synergies.

François-Régis Hutin est quasiment à la rue. Le tout puissant patron de Ouest-France l’a confié à ses salariés, dans sa lettre de vœux : « Malgré l’excellente année réalisée par notre régie publicitaire Précom avec une progression de 10%, notre résultat avant impôt reste insuffisant pour faire face au remplacement de nos matériels et poursuivre le développement de l’entreprise ». Diable ! Si les nouveaux Macintosh tombent en rideau, faudra ressortir les Underwood de l’époque bénie où l’on prenait le journal les armes à la main pour le soustraire aux nazis.

Dans un tel dénuement, comment prétendre qu’Ouest-France (760 000 exemplaires vendus chaque jour) tente de racheter Presse-Océan, L’Éclair, Vendée-Matin, Le Courrier de l’Ouest et Le Maine-Libre (230 000 exemplaires au total) ? D’ailleurs, rachat, quel vilain mot. Il faut apprendre à dire « rapprochement pour sauver les titres au nom du pluralisme », ou « coopération », ou encore « mise en commun de moyens ». On a bien compris que si le pôle Presse-Océan et ses clones L’Éclair et Vendée-Matin pouvaient être restructurés, disons, par un petit plan de licenciements que les 50 à 150 salariés concernés trouvent un peu gros, ce serait tout de même mieux. On a bien saisi que l’opération, pour FRH, devra se faire « dans la rigueur financière, la paix sociale et le respect des lecteurs » *. Et si jamais il y avait « rapprochement », ce ne serait pas un rachat, ce qui, au passage, exclut le moindre recours à la clause de conscience pour les journalistes de Presse‑O. « Ils ont raison d’être inquiets », a confirmé FRH **.

De l’appétit pour les petits

De toutes façons, Ouest-France n’a pas les moyens : il a déjà fallu casser sa tirelire pour s’offrir L’Ostréiculteur Français, un fier mensuel professionnel qui plafonne à 2500 exemplaires. Une dépense qu’on imagine pharaonique. Pire, Publihebdos, filiale du quotidien rennais, rachète à tout va les petits hebdos locaux de campagne. Ce qui, en quelques années, a placé quatorze hebdos dans l’escarcelle directe du groupe, soit 130 000 exemplaires par semaine, le double de la diffusion quotidienne de Presse-Océan. Dernier mangé, Le Petit Bleu des Côtes d’Armor, en juin.

L’hémorragie qui menace le présidentiel portefeuille de FRH ne s’arrête pas là. Le groupe de journaux gratuits Spir Communication, contrôlé par Sofiouest, elle-même contrôlée par François-Régis & Co, jette lui aussi l’argent par les fenêtres. Après avoir racheté Le Carillon, puis Le Galibot (22 gratuits du Nord) en septembre 1997, puis 80% de Concept Multimédia (5 gratuits de plus) en février 1998, Spir s’est offert Paris Boum-Boum. Une bagatelle à 250 000 exemplaires. Les quelques salariés de Paris Boum-Boum ont fait grève et occupé les locaux mais ça n’a pas grèvé l’argent de poche de François Régis : le téléphone a été coupé par Spir. Cette méprisable jacquerie contre la dégradation des conditions de travail et un projet de licenciements n’est qu’un soubresaut mineur au sein des… 132 titres détenus par Spir Communication. Le groupe affiche une coquette rentabilité de 10%, mieux que dans n’importe quelle entreprise et dans la presse en particulier. Coté au second marché, Spir Communication a des actionnaires ravis : il y aura augmentation des dividendes.

Main basse, tête haute

On ne peut décemment prêter des intentions hégémoniques à François-Régis sous prétexte des accords d’Ouest-France avec M6 et Master-Production (qui fournit TF1), de produits publicitaires communs lancés avec France 3 en 1997, du contrôle par Précom de plusieurs radios locales à Nantes. Tout ça n’est entrepris que pour défendre un pluralisme sainement centralisé. Idem quand Ouest-France aidé de France-Télécom fait main basse sur Tout-en-Ville, un petit site internet qui avait eu l’incroyable culot de proposer des brèves d’information en ligne sur Nantes. Au passage, l’ex-journaliste vacataire d’Ouest-France qui l’alimentait pour 1300 F par mois a giclé, virée une seconde fois par le grand journal démocrate-chrétien. Sur le marché d’Internet, Ouest-France a signé en février 1998 un accord avec Wanadoo (France Télécom version net) pour des promotions croisées de leurs sites web respectifs, juste pour « contribuer à la démocratisation d’internet ». Les Internautes apprécient la démocratisation, faisant régulièrement la grève des connexions contre les tarifs trop élevés et les tuyaux saturés de Wanadoo.

Mieux : Ouest-France a touché près de 2 MF d’argent public pour créer la première tranche de son propre site internet, soit la moitié des 3,9 MF d’investissements nécessaires, sur une enveloppe totale de 10 millions qui fait du ouèbe Ouest-France un des plus chers de France.***

La vie en communauté

Puisqu’on parle tuyaux, celui du rachat de Presse‑O est donc percé, qu’on se le répète. François-Régis avoue tout juste des études de « synergies entre les titres ». Certes, on planche bien sur des pages communes, sur le regroupement des régies pub, des moyens d’impression et de diffusion, des équipes de porteurs. Ouest-France garde depuis plusieurs mois 23 places vacantes au cas où il faudrait faire œuvre sociale pour reclasser quelques journalistes virés de PO. Régner sans partage sur tout l’ouest français –Télégramme de Brest mis à part – et contrôler directement ou indirectement un million de journaux vendus chaque jour ne grise pas François-Régis. Il est au-dessus de ça. Comme son grand journal, confié à une association en repliant les actionnaires dans la très lucrative Sofiouest, il est à l’abri des puissances d’argent, dont il manque d’ailleurs cruellement. Il est donc inconcevable de diagnostiquer chez lui une papivorite aiguë, grave maladie qui a achevé Robert Hersant malgré les mises en garde incessantes de son camarade de jeux FRH à la grande époque. « Je ne rachète pas ! », s’est énervé « Dieu » dans la presse nationale. « Si je rachetais, vous m’accuseriez d’impérialisme ! »**. On ne voit vraiment pas pourquoi.

Illie Euljournal


* Le Monde, le 30 janvier 1999.
** Les Échos, le 29 janvier 1999.
*** Sur la première tranche de 3,9 MF d’investissement lancée en 1996, T&C, filiale télématique de Ouest-France a touché 1,95 MF d’avance remboursable de l’Anvar (Agence nationale de l’innovation) et 500 000 F de subvention de la Région Bretagne. Aides renouvelables, sans aucun engagement de création d’emplois. Établissement public, l’Inria (Institut national de la recherche en informatique et en automatique) a aussi prêté du personnel : des spécialistes ès souris qui ne coûtent pas cher.

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