La position de l’omissionnaire

Publié par lalettrealulu le

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À La Baule, l’histoire locale se découvre un nouvel outil de recherche : la gomme.

Ah que la guerre était jolie, sous la botte de l’Occupant : c’est ce que rappelle avec légèreté Luc Brauer dans un ouvrage sur La Baule, 1939 – 1945. On devrait pourtant se méfier des livres à couverture brune. Le divertissant auteur avait déjà poussé la gentillesse jusqu’à créer, avec son frère, un charmant musée orné de jolis uniformes militaires du Reich. Dans le blockhaus de Batz-sur-Mer, ne manque que l’odeur des chambrées du poste*.

Évoquant La Baule occupée, il écrit avec fraîcheur : « La vie quotidienne des Baulois pendant la dernière guerre s’est avérée être intéressante et inattendue ». La recherche du ravitaillement se réduit à un « sport risqué » et au « passe-temps numéro un des Français ». On savait s’amuser, en ce temps-là. Deux des 85 pages sont consacrées à la Résistance et notamment à Georges Tanchoux, un instit qui lâcha sa classe pour entrer dans la Résistance en 42. Écrit par l’archiviste de La Baule, M. Danet, un autre livre, La Baule de A à Z, explique que Tanchoux est arrêté en février 1944, torturé avenue Henri-Martin, au siège de la Gestapo et déporté au camp de Dora « où il disparut à la veille de la Libération en avril 1945″. Brauer a emprunté mot pour mot certaines phrases, ce qui est le lot de bien des historiens locaux. Avec pourtant de modestes oublis, pour montrer son indépendance d’esprit. Le passage dans les locaux de la Gestapo ? Escamoté dans la version Brauer. Négligeable. La mort au camp de concentration ? Eludée, diluée dans un mystère imprécis : le résistant se retrouve ainsi « déporté au camp de travail de Dora où étaient construites les armes secrètes allemandes. Il disparaît à la veille de la Libération, en avril 1945″. Pfft, disparu, volatilisé. Une fugue, sans doute. En fait, Georges Tanchoux a vraisemblablement été des derniers déportés de Dora exterminés sur place, enfermés dans une grange incendiée à Gardenlegen, juste avant l’arrivée des Américains. En gommant la torture de la Gestapo, en suggérant que la mort du « perdu de vue » Tanchoux n’a rien à voir avec son internement au camp de Dora, Luc Brauer pratique un sport risqué qui pourrait passer pour du négationnisme par omission. Disons de l’omissionisme. Plus naïf militariste que militant forcené, Luc Brauer refuse pourtant de répondre à Lulu, qualifiant de « vomi de chien » l’article déjà consacré au musée* qui a reçu des « milliers de témoignages de sympathie ». Il connaît aussi un bon paquet de gens qui « seraient prêts à donner une bonne leçon » aux journalistes de Lulu.

Hasard de l’histoire : en ce moment dans le Pas-de-Calais, un autre bunker présente une expo sur le camp de Dora. Un vrai travail de mémoire sur le camp proche de Buchenwald, dévoilant de manière exemplaire toute l’horreur de ce camp, le travail forcé pour assembler les V2, et l’intox de la propagande des photos d’époque où kapos et SS sont étrangement absents**. Une leçon d’histoire qui ne succombe pas à la fascination des armes et des uniformes militaires. Mais chacun est libre de trouver moins seyants les pyjamas rayés des vacanciers des camps de loisirs nazis.

* La Lettre à lulu n°14, septembre 1997 : « La pochothèque de la Wehrmacht à Batz-sur-Mer ».

** Le Monde, 26 mai 1999.

Catégories : N°23-24 – été 1999