M. le directeur ne ménage pas ses avances
Du balai !
Au foyer social Saint-Vincent-de-Paul, les « broutilles » pas très catholiques mélangent poigne et main baladeuse. Et avec les pieds, qu’est-ce que vous faites, M. le directeur ?
Hétérosexuel présumé innocent, le directeur du foyer de Saint-Vincent-de-Paul, aurait comme des tendances. Ancien militaire, gérant de cet « hôtel social » de 28 places accueillant des gens de la rue, Jean-Michel Le Bourgeois semble confondre femme de ménage et bonne-à-tout-lui-faire. Une plainte déposée contre lui pour harcèlement sexuel vient d’être enregistrée au parquet sous le numéro 99/33634.
Sandrine Gadais, engagée en contrat CES pour le nettoyage des chambres et des espaces communs, s’est vue obligée de débarrasser le plancher, sans autre forme de procès. Le procès n’est venu qu’après, quand la dame a gagné aux prud’hommes devant un employeur qui découvre que les voies du droit du travail sont plus impénétrables que celles du Seigneur. L’association départementale Saint-Vincent-de-Paul a été condamnée à verser 5 000 F de dommages et intérêt et à annuler rétroactivement la mise à pied de huit jours, sanction démesurée pour une employée précaire, à mi-temps et en fin de contrat. Les reproches se sont effondrés lamentablement devant les prudhommes. Du coup, cette éjection injustifiée semble cacher autre chose.
Harcèlement broutillier
Sandrine Gadais le dit, elle a refusé de céder aux avances du directeur : « Coucher avec M. Le Bourgeois, c’est pas dans mon contrat. Quand sa femme partait en cure, il venait dans les chambres où je faisais le ménage, pour me peloter, me proposer d’aller avec lui au bord de la mer. J’ai dit que j’étais là pour travailler, pas pour autre chose. Plus tard, il m’a accusée d’avoir cassé un carreau, ou même de racketter les résidents. Puis il m’a redemandé de coucher avec lui, en disant « ça te ferait du bien »… Et si je faisais des vagues, il pourrait me faire enlever mon enfant ».
Cette plainte pour harcèlement sexuel ? « Broutilles !, dit Jean-Michel Le Bourgeois. Si on s’arrête à ça, on ne peut plus travailler. »
Directeur adjoint de l’établissement, lui aussi militaire à la retraite, Pierre Dumoulin a été contraint de « s’arrêter à ça ». Il n’a jamais cru à la faute de la femme de ménage : « C’est une fille bien, je l’ai dit à mon patron. Son beau scénario, c’est du camouflage ». Déjà tendues, les relations de l’adjoint avec son chef s’enveniment alors, jusqu’à ce qu’il soit rétrogradé simple agent d’accueil puis carrément viré. Une transaction a évité une autre bérézina de l’institution devant les prud’hommes.
Saint-Vincent disciplinaire
Christine Bergin, une ancienne résidente confirme : « Le directeur dit souvent aux femmes : « quand on allume le feu, faut savoir l’éteindre ! » Pour lui, toutes les femmes sont des allumeuses. Mais franchement, quand on entre là, on pense pas au sexe, on est trop mal dans sa peau ». Dès son admission à la résidence, elle découvre que le directeur a déjà raconté aux pensionnaires son passé, ses difficultés avec son mari ; tout ce qu’il a appris à l’entretien d’accueil. Cette manière d’étaler sa vie privée est vécue comme une stratégie de l’humiliation. « D’une autre femme, il nous a dit qu’elle avait fait de la prison, qu’elle avait travaillé comme maquerelle quai de la Fosse. Même si c’est vrai, on n’a pas à le savoir ! On est déjà assez jugé comme ça. Ou cette autre femme, qui buvait ; elle était malade, avait besoin de soutien : il l’a renvoyée à la rue ! » De colères en renvois immédiats, il mène son petit monde comme un bataillon disciplinaire. Président départemental de la société Saint-Vincent-de-Paul, Gérard Trichereau trouve l’affaire « ennuyeuse » obligeant à « défendre l’image de l’institution, si éventuellement on se rend compte qu’on a embauché une brebis galeuse. Mais en l’absence de constat d’huissier, c’est la parole de Mlle Gadais contre celle de notre directeur. C’est vrai, M. Le Bourgeois est un homme à poigne, assez dur, mais aussi très humain, qui emmène parfois des résidents au bord de la mer. » Il se rassure : « S’il y avait quelque chose de grave, ça serait allé beaucoup plus vite ».
Une française sur cinq dit avoir subi un harcèlement sexuel au boulot*. Jusqu’à présent, c’était un sujet de plaisanterie, les Français prônant la gauloiserie comme un art de vivre. La loi Neiertz est appliquée depuis 1994, mais c’est aux femmes plaignantes d’apporter la preuve du délit, souvent commis entre quatre z’yeux.* Pas toujours facile, pour la loi de faire oublier le vieux droit. De cuissage.
* Selon une étude du Bureau international du travail en 1996, citée par L’Express n° 2497, 13 mai 1999.