Les marchands de cailloux en font des tonnes
Les grands programmes d’aménagement portuaire et aéroportuaire de Loire-Inférieure attisent l’appétit des marchands de cailloux. À Quilly, deux cents habitants sont menacés par deux projets voisins de carrières géantes.
Ils ont choisi la campagne, le calme, les petits oiseaux. C’est réussi. Dans un an ou deux, si tout va bien, deux cents camions par jour viendront rappeler aux habitants du Petit Betz, un paisible hameau situé sur la commune de Quilly, que la logique économique a des arguments que la raison bucolique ignore. Surtout quand monsieur le maire en personne a des intérêts directs dans l’affaire. Menacés simultanément sur deux fronts, les habitants du hameau tentent de s’organiser, mais ne pèsent pas lourd devant le bulldozer politique et administratif qui s’est mis en route, sans prévenir, il y a trois mois. Premier coup de semonce, l’annonce discrète en octobre de l’ouverture d’une enquête publique pour la création, à un jet de lance-pierres du hameau, d’une carrière de 12 hectares pouvant extraire jusqu’à 700 000 tonnes de cailloux par an. Le genre de voisinage rêvé, avec tirs de mines quotidiens, nuages de poussière et noria de gros camions assurée. L’enquête a dû être reportée pour vice de procédure mais a redémarré le 20 décembre, à la demande du commanditaire, un géant marseillais des travaux publics. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, une seconde enquête publique a pris la première de vitesse. Cette fois il s’agit de l’extension d’une carrière désaffectée, portant la surface d’exploitation à 15 hectares pour un débit d’environ 400 000 tonnes par an. Le terrain appartient au maire de la commune, Jean-Charles Laidin, entrepreneur de travaux publics de son état. Située à 300 mètres du premier projet, cette carrière frise carrément les habitations du Petit Betz, s’approchant des premières maisons d’une vingtaine de mètres. Le conseil municipal de Quilly a donné sans sourciller le 28 novembre un avis favorable à ce second projet, en l’absence du maire, qui s’était retiré des débats comme l’exige la loi, le temps du vote politiquement correct de son conseil. Les protestations des habitants du Petit Betz, et des pauvres résidents qui jalonnent la petite route voisine, appelée à devenir un boulevard à gros culs, n’ont eu aucun écho auprès de la municipalité. Le maire, de toute façon, s’en tape, il ne se représente pas la prochaine fois. Et les conseillers sont tranquilles, ils font ce qu’ils veulent puisque la commune ne dispose pas de plan d’occupation des sols. On se croirait presque revenu au bon temps du châtelain de Quehillac, dont les héritiers ont obligeamment loué leur terrain pour la première carrière. Le châtelain avait, au début du siècle, discrètement annexé quelques terrains communaux, alors qu’il était maire de Bouvron, la commune limitrophe. Mais si l’absence de documents d’urbanisme autorise, hier comme aujourd’hui, les notables de Loire-Inférieure à prendre leurs aises avec le bien public, la mémoire et la détermination des gueux restent solides.
La seule trouille des notables dans ces petites affaires privées, qui ne regardent personne, c’est qu’on en parle dans les journaux. Il eût été dommage de s’en priver.
Albert Camion