Faut pas charrier du chariot

Publié par lalettrealulu le

Matérialisme

L’entreprise coulait des jours heureux à Carquefou. Elle a coulé tout court. Quarante-deux licenciements, trou copieux, enquête pour escroquerie, banques estampées, bref, pas de quoi fouetter un chariot élévateur.

Signe scorpion, ascendant déconfiture générale, Christian Maltaverne connait les prémices de la chute de son empire. Déjà condamné pour faux et usage de faux destiné à charger un de ses cadres*, Maltaverne commence à trouver que sa scorpionnite manque singulièrement d’ascendant. Et définitivement d’élévateurs. “M2 matériel de manutention”, son entreprise de vente et location de chariots élévateurs, n’achetait pas les engins qu’elle plaçait en location, notamment dans des grandes surfaces de bricolage. Tout était financé en crédit-bail. Le 9 février dernier, M2 a été liquidée par jugement du tribunal de commerce, laissant 42 salariés sur le carreau. Le passif est lourd, estimé pour l’instant à 300 millions de francs, sans compter une quinzaine de petits millions de rappel de TVA. Beaucoup pour une société anonyme au capital de trois millions et demi.

Bail bail le matos

Les ennuis ne s’arrêtent pas là : une enquête judiciaire pour escroquerie est en cours, qui cerne Maltaverne, signe patron, ascendant pente glissante. Depuis un an, la police judiciaire va de surprise en surprise, tombant sur des financements curieux, doubles ou triples, du même matériel en leasing. Il y a même onze chariots fictifs qui n’ont jamais existé que sur le papier.

À chaque fois, des dossiers de crédit bail ont été montés par un très actif courtier basé à Saint-Herblain, Michel de La Chapelle, les financements étant décrochés auprès de banques diverses et renommées, qui ont signé les yeux fermés. Pourtant, elles ont été alertées des embrouilles par Yannick Gallais, le cadre qui a tenu tête à Maltaverne, avant de se voir mouiller par des faux reproduisant sa signature et destinés à le traiter de ripou*. Ce cadre remercié a eu raison depuis le début, mais n’a récolté que des ennuis. Certaines banques l’ont écouté, ont recoupé les informations et mis fin aux relations avec M2. Mais la plupart ont foncé comme si de rien n’était.

Leasing déglingue

La plus plumée des banques, c’est BNP Lease, qui y laisse quelque 120 millions de crédit, octroyés en moins de trois ans. Mais les contrats sont tellement mal boutiqués pour cette filiale de BNP qu’elle ne peut pas prouver que les chariots lui appartiennent : impossible de les récupérer après la liquidation de M2. Chez BNP Lease à Paris, le directeur du contentieux « ne souhaite pas s’exprimer » sur ce brillant dossier. En fait, la BNP cherche à dresser un inventaire fiable des chariots réellement placés chez les clients de M2, pour faire le tri du matériel virtuel et évaluer son préjudice. Ni Maltaverne, ni le courtier de La Chapelle n’ont voulu répondre à Lulu.

« Certains matériels ont été financés jusqu’à cinq fois » (soit quatre fois sur du vent), disent des salariés qui évoquent des retraits d’espèces pour offrir une BMW rutilante à un directeur d’une grande surface de bricolage : modeste gratification pour ce client en or qui aurait couvert des chariots fictifs loués à M2. Juste avant le jugement de liquidation judiciaire, Christian Maltaverne tente de se racheter la Mercedes de la société. Le réprésentant des créanciers fait annuler l’acquisition et se fâche en découvrant que la nuit, dans l’atelier de la société, des numéros de chassis de chariots élévateurs ont été limés. Un camion sera alors bloqué en travers de la porte l’atelier pour empêcher l’enlèvement de matériel. Il lui reste une Porsche perso qui lui a coûté les yeux de la tête. Mais attention, le premier qui se paye encore sa tête, il lui fait signer le contrat de leasing.

* Lire Lulu n°25 : « La résistible ascension du patron faussaire ».