France 3 laisse tomber

Publié par lalettrealulu le

Sexe

Le mercenaire des sujets « sexy » et reportages « bandants » à France 3 Pays-de-La-Loire n’aura fait qu’un bref tour de piste, licencié après avoir allumé une partie de sa rédaction.

Patrick Pugin est arrivé comme rédacteur en chef de France 3 Pays-de-La-Loire le 1er avril 1999. La blague n’a tenu que jusqu’à la mi-novembre. Le rénovateur a fini par être éjecté avec un licenciement pour « incompétence de management » dont les modalités financières sont toujours en pourparlers. « On me propose l’ancienneté plus trois mois, et la prise en charge par un cabinet d’outplacement. J’attends de nouvelles propositions », confie l’évincé. « On est venu me chercher dans le privé pour faire de l’audience. En trois mois, on a gagné cinq points… Au lieu des grandes enquêtes prétentieuses, lourdes et pas très excitantes, je voulais du plus concret, du précis, du vivant. Ça heurte les habitudes, les archaïsmes de la maison. Ultra protégée, France 3 vit dans un confort total, avec un siècle de retard », commente cet ancien de la chaîne télé RTL.

La bandaison tourne court

Dès son arrivée, le rédac chef réclame du « sexy », du « bandant », ce qui dans le jargon des rédactions, entend privilégier l’excitation à la mollesse. Déstabilisée, réticente à une telle dégradation de son idée du métier, une partie de la rédaction signe vite une motion de défiance. L’ambiance est au puginat entre la frange pro et la fronde anti, qui reproche à Patrick Pugin d’imposer à chacun de mouiller sa chemise, en gardant lui-même la chemise sèche : « Il quittait parfois la station avant le journal, alors qu’il était responsable de l’antenne », reproche un journaliste. Sa politique est vécue comme un parti pris de rupture avec la ligne du rédac chef précédent, Emmanuel Yvon. Magazines et dossiers disparaissent. Objectif : remuscler l’actualité chaude à l’antenne, et particulièrement le fait divers. « Il exigeait un fait-div’ par jour, sur sept à huit reportages par journal », soupire un journaliste. Dans l’affaire d’une adolescente ayant avorté et porté plainte contre sa famille, la manière de décrocher l’interview de la jeune fille, est qualifiée par certains de « harcèlement au téléphone » pour finir par tourner ses confidences dans un bois, « comme les faits divers trash ».

L’actu à tombeau ouvert

Son style rentre-dedans voit se cabrer les serre-freins. Il lâche un jour que, l’actu n’attendant pas, les équipes sur le terrain doivent rouler à fond la caisse en explosant s’il le faut les limitations de vitesse. Les résistants ripostent : et si une voiture de France 3 écrase un môme au passage, comment traiter le sujet : version chauffard à embastiller ou dossier sur la sécurité routière ? La rédaction se divise entre partisans et grognards. Les syndicats s’en mêlent et s’emmêlent : la CFDT dit refuser une chasse aux sorcières contre Pugin, mais CGC, CGT et FO des personnels techniques et administratifs signent cet automne un préavis de grève pour exiger que le rédac chef change ses méthodes et sa ligne éditoriale. « Le mouvement réclamait implicitement ma tête », analyse Patrick Pugin. La section FO des journalistes soutient Pugin, dénonçant la « menace d’épuration, une tentative d’éviction (qui) traduirait un mode de fonctionnement délibérément tourné vers l’arbitraire et les pires pratiques claniques ». FO national se désolidarise de ces FO-pro-Pugin.

Le Samuraï enrayé

La direction régionale de Rennes temporise, promet que Patrick Pugin, qu’elle appelle en privé son « samuraï », va s’amender. Le préavis est levé. Si Pugin a officiellement accepté de revoir ses méthodes, il aurait aussitôt déserté pour un long week-end de congé sans préavis, alors qu’il est de service. La direction régionale de Rennes le lâche au milieu du gué. On parle de mise en congé exceptionnel. Patrick Pugin a une autre version : « Mon tort, c’est de ne pas être du sérail. C’est la direction générale et le DRH national qui m’ont signifié de ne pas reprendre mon poste, lançant finalement un licenciement pour perte de confiance. J’ai sans doute été maladroit, trop rapide, manqué de pédagogie. J’ai secoué le cocotier, ça a fait peur à la direction régionale, qui m’avait pourtant embauché pour ça.» La révolution culturelle n’est plus inscrite au tableau de service. Le samuraï est jetté comme un vieux kleenex.

Motif ? Les directions régionale et nationale ont opposé un silence radio à Lulu. À Nantes, depuis la mi-novembre, Pugin n’a pas reparu, deux adjoints assurant l’interim. Pour choisir le remplaçant, désigné à la mi-mars, le recrutement prend un luxe de précautions, en instaurant un système nouveau d’approbation par deux instances en plus de la direction régionale : le DRH de France Télévision, et un cabinet de recrutement extérieur aux chaînes publiques. Et le profil requis est le portrait opposé au sortant : on recherche quelqu’un porteur d’une « expérience de management réussi ». Quant à la télé au Viagra, on verra ça une autre fois.

Victor Téheff