La justice arrive jusqu’à La Baule

Publié par lalettrealulu le

Matusiakisme

Pour avoir acheté en viager sans le dire l’appartement de son client, atteint d’un cancer en phase terminale, Éric Matusiak, notaire à La Baule, vient d’être condamné au terme d’un invraisemblable feuilleton judiciaire.

Voilà un notaire qui ne manque pas d’air. Éric Matusiak, auteur de l’une des embrouilles professionnelles les plus graves qui puissent être imputées à un notaire – avoir abusé de sa position d’officier ministériel pour s’enrichir sur le dos de l’un des ses clients – a carrément attaqué l’une de ses victimes en justice pour “préjudice moral du fait d’accusations non fondées” et, plus joli encore, pour “résistance abusive”. Le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire l’a finalement renvoyé dans les cordes et condamné le 6 mars dernier au terme d’un jugement qui mérite le détour. Les faits : un vieux monsieur à l’article de la mort cherche à léguer ses biens à sa compagne. Son notaire, Éric Matusiak, lui conseille de vendre son appartement en viager au bénéfice de la dame. Ce qu’il fait. L’appartement est donc vendu à une mystérieuse société civile immobilière basée aux Sables d’Olonne. Le vieux monsieur décède comme prévu quelques mois plus tard. Le notaire commence par mettre la main sur la voiture de son client, qu’il vend à la sauvette, et règle royalement 4 000 francs en liquide à la dame. Il l’invite ensuite à quitter l’appartement pour aller s’installer dans une maison de retraite. Cette invitation, insistante, effraie la vieille dame, qui se renseigne sur le contrat signé par feu son compagnon, et découvre que le gérant de la société civile immobilière n’est autre que… le notaire. Tout est verrouillé : en cas de départ de la vieille dame, le notaire se retrouve chez lui pour trois francs six sous. Bien joué, sauf que la fille de la dame s’inquiète, se renseigne, et finit par porter plainte pour escroquerie. Confiant dans la justice de son pays, qu’il fréquente, au besoin, en dehors de ses heures d’ouverture, Matusiak bénéficie contre toute logique d’un non-lieu. Lulu met alors les pieds dans le plat et raconte l’embrouille*. Malin, le notaire se garde d’attaquer le journal, mais poursuit la vieille dame pour dénonciation calomnieuse. Les magistrats relèvent d’ailleurs cette subtilité en notant : “Il apparaît à première vue surprenant que le notaire requérant, qui affirme que cet article portait gravement atteinte à son honneur et à sa considération, n’ait pas poursuivi cette publication en diffamation.” La vieille dame semble sûrement une proie plus facile.

Malheureusement pour lui, s’il avait pu une première fois embrouiller les magistrats, la seconde se révèle plus difficile et ses arguments tombent un à un. À propos de la maison, le tribunal relève ainsi : “Madame G. a pu constater avec une légitime surprise que la vente n’avait été précédée d’aucun écrit et qu’il n’existait notamment aucune correspondance faisant état de l’accord de monsieur V. pour vendre au notaire lui-même.” Les juges précisent : “Il est constant que d’une manière tout à fait inhabituelle s’agissant d’une société, l’acte de vente ne mentionnait pas le nom du gérant de la SCI.” Pas mieux pour la voiture, après les justifications douteuses du notaire : “Ces explications à tout le moins confuses et embarrassées masquent mal le fait qu’à aucun moment le notaire n’a fermement démenti avoir lui-même emporté la voiture après avoir laissé en espèces une somme d’argent à madame G.” Quant aux pressions pour faire quitter l’appartement à la vieille dame après la mort de son compagnon, le tribunal s’amuse carrément : “Il n’est pas usuel qu’un notaire s’implique dans des choix de vie d’une cliente au point de l’inciter à gagner une maison de retraite (…). L’étonnement de madame G. est donc compréhensible.” En conséquence de quoi le tribunal condamne Maître Mathusiak à payer 30 000 francs de dommages et intérêts à madame G. Il faut espérer que cette sanction inique ne décourage pas le brave notaire d’exercer comme il l’entend son bien beau métier.

« Petits arrangements entre ciel et notaire », La Lettre à Lulu N°22, février-mars 1999