La dernière séance de super Ayrault

Publié par lalettrealulu le

De la terre à la thune

La dernière fois qu’il a fait du cinéma, Jean-Marc s’est fait embrouiller grave par des pros du show-biz déguisés en envahisseurs. Qu’on reconnaît à leur petit doigt en l’air, précisément.

On peut être le plus grand producteur du monde et de ses environs, programmer un festival cinoche au rabais et ramasser une jolie subvention pour soi et ses petits copains du show-biz, le tout sans avoir été mis en concurrence. La recette ? Rien de plus facile, il suffit de se nommer Toscan du Plantier.

Remontons le temps. Octobre 2000 : Nantes, qui n’en peut plus d’avoir entendu vagir Jules Verne dans son sein, récupère le festival international de science-fiction, plus connu sous le nom d’Utopia, à la Cité des congrès. L’idée, en pleine commémo de l’an 2000, est ambitieuse : créer ex nihilo un festival en trois parties qui récompensera la littérature, la BD et le ciné SF. L’opération est rondement menée. Malgré les réticences de l’adjoint à la culture, la mairie crée en avril une association du festival qu’elle confie à de vrais passionnés de SF tels que les libraires-éditeurs de l’Atalante, la dote aussi sec d’une subvention de deux millions de francs (auxquels s’ajouteront un million et demi de la Drac) et charge la Cité des congrès d’assurer la maîtrise d’œuvre. Tout ce petit monde a six mois pour lancer l’événement intergalactique du siècle.

Toscan du Planteur

Si les volets BD et littérature trouvent rapidement des pointures pour s’en occuper, il n’en va pas de même pour le cinéma. Miracle : le directeur de la Cité des congrès, Jacques Tallut, a justement un vieux pote, Jean-Pierre Serre, qui se trouve être le producteur exécutif des films du producteur star Daniel Toscan du Plantier qu’on ne présente plus. Le Serre sait y faire*. Il se propose de dégoter un pro du ciné. Qui nous déniche-t-il ? Vous n’allez pas le croire, Toscan du Plantier himself, le must du « in », ou plutôt Off, une petite boîte dont le grand homme est précisément actionnaire et qui se fait une spécialité d’organiser des festivals de films.

Second miracle, l’affaire se conclura non pas avec la Cité des congrès, qui aurait eu l’obligation de procéder à un appel d’offre, mais directement avec l’association créée exprès qui, elle, n’est tenue à rien. Histoire de bétonner, Toscan promet monts et merveilles et force paillettes, comme par exemple la venue en exclusivité mondiale de Brian de Palma, promis-juré. Promesse qui se révèlera pipeau une fois le contrat signé.

La soupe aux sous

Le contrat avoué par la Cité des congrès s’élève à quatre cent mille francs et servira, outre les droits d’auteur, à rétribuer grassement la boîte de Toscan. S’ajoutent au magot deux millions de francs pour défrayer la petite centaine d’invités du festival dont les membres du jury, tels que Catherine Pancol, Elisabeth Depardieu, Maria Schneider… Tous d’incontournables spécialistes de la SF et accessoirement des potes à Toscan. Ne parlons pas des cent quarante mille francs de traiteur et de bar, en sus de l’addition. Les salles obscures, c’est bien connu, ça donne soif.

Las, la compétition cinéma se crashe au décollage comme une vieille soucoupe volante de carton-pâte. Aux manettes, la gérante de la société Off nous refile une programmation de second ordre, un film d’ouverture sans intérêt, bref « une compétition un peu maigre » due aux réticences « des producteurs et des réalisateurs de donner leurs films à Nantes. »** La critique et le public sont unanimes, seuls les petits fours sont à la hauteur. Les organisateurs eux-mêmes estiment « que la société Off s’est moqué du monde ». Mais là n’est pas l’important : une jolie partie de la subvention s’est téléportée directement dans les poches de Toscan et de ses amis, à une vitesse aussi sidérante que sidérale. Comme quoi il y avait bien un peu de SF dans ce festival.

L’an prochain, c’est le futur ?

« La thématique cinéma a également imposé son existence en offrant aux amateurs la possibilité de suivre une compétition qui sera étoffée, l’an prochain, par des films culte, des hommages et des cartes blanches… » Plutôt lisse, le traitement du festival par notre confrère Presse-Océan. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une critique qui fâche… Le service culturel du quotidien nantais nous avait habitué à plus de vigueur dans son traitement des autres événements culturels nantais. Aurait-il été quelque peu gêné aux entournures par le contrat d’impression du programme quotidien passé entre le festival et lui-même ? On s’en voudrait de le penser.

Un contrat à quatre cent mille… années-lumière

Pas facile d’avoir le montant du contrat qui lie l’association du festival à la société de Toscan. Coup de fil à la présidente de l’association, Mireille Rivalland, qui renvoie sur la Cité des congrès. « C’est eux qui ont tout ». Re-coup de fil à la Cité, qui renvoit sur l’association. Qui finalement vient de le recevoir et confirme : « C’est quatre cent mille francs. » On peut voir ? Pas de problème, le temps d’une photocopie et il n’y a plus qu’à passer à L’Atalante, où on vous le garde au chaud, c’est de l’argent public, on a rien à cacher. À L’Atalante, changement subit de ton. Le boss Pierre Michaut, lui-même dirigeant de l’association, feint l’étonnement puis coupe court : « Ce n’est plus Mireille Rivalland qui s’en occupe, j’ai repris l’affaire en main. » C’est toujours quatre cent mille francs, mais plus question de voir le document. L’argent public, c’est bien connu, n’est pas destiné au public. Surtout à celui du festival. Ce serait d’un vulgaire…

* Il ne s’oubliera pas au passage en tant que consultant du festival pour la prochaine édition.
** Ouest-France et Presse-Océan, 30 octobre 2000.