Ayrault se tripote la zapette

Publié par lalettrealulu le

Nulle part ici

Attention ! Ca va exploser… Ça s’appelle TNT, télévision numérique terrestre et ça va débouler dans les deux ans sur nos “étranges lucarnes”. La presse (la vraie) n’en parle pas et pour cause : elle est en première ligne pour ramasser la mise.

Résumé des épisodes précédents : hors câble, nous ne disposons que de six chaînes, dites analogiques, de Pépédé à Loft Story. N’importe quel râteau sur n’importe quel toit de France ne peut capter que ces six chaînes qui voient d’un très mauvais œil le numérique venir fourrer ses bits dans son gros marché. D’autant plus que le numérique ressemble furieusement à la télé de demain : interactive, comme on dit sur le web. Vous pourrez surfer sur internet, faire votre télé-achat en direct ou répondre à des offres d’emploi. Le genre à démoder Drucker en un coup de peigne.

Seulement voilà, il y a un bug dans le schmilblick : presque personne n’est équipé pour recevoir le numérique. Le renouvellement du parc de récepteurs va prendre dans les dix ans selon les spécialistes les plus optimistes, sans compter que l’expérience a déjà échoué en Grande-Bretagne, en Suède, en Espagne…

Il revenait naturellement à la France de relever ce défi. Le CSA a décidé de nous infliger trente-trois chaînes supplémentaires d’ici fin 2002, nationales et, nouveauté, locales. Dont quatre rien que pour Nantes, trois numériques et une analogique. Ne reste plus qu’à trouver les structures capables de s’en occuper, avec les reins suffisamment solides pour courir ce risque*.

Sur les rangs, plusieurs types de candidats. La World compagnie bien sûr, Universal Vivendi & Co, qui se concentrent sur les futurs canaux nationaux mais gardent un œil sur le local. Le local qui lui attise la convoitise des groupes de presse et des politiques qui ont parfaitement compris l’enjeu : le premier qui chope le canal analogique touchera potentiellement 400 000 foyers en Loire-Inférieure. Le temps que les trois autres chaînes numériques décollent, il aura largement eu le temps de créer des habitudes, et surtout de planter ses crocs dans ce nouveau marché publicitaire. Le premier réflexe des frères ennemis de la presse locale, Socpresse (Presse‑O), Ouest-France et Le Télégramme (L’Hebdo), a été de vouloir créer une régie publicitaire commune. En prévision, avant même de songer à l’info et aux contenus de ces nouvelles chaînes. S’ils n’ont pas réussi à s’entendre, cela ne les empêche pas de continuer à mettre la pression sur le CSA.


La télé à Presse‑O


Car le CSA subit un lobbying d’enfer. Les professionnels de la profession murmurent même qu’il a déjà tranché pour le canal analogique nantais : il serait d’ores et déjà réservé à la Socpresse, avant toute décision officielle. Il faut dire que la Socpresse a la chance d’avoir un pédégé qui se trouve être aussi le président du syndicat de la presse quotidienne régionale. Ce qui peut aider.

Ouest-France la joue avec plus d’onction. Officiellement, le groupe rennais ne croit pas au numérique, essentiellement parce qu’il craint de voir s’évaporer la pub de son canard au profit des nouvelles télés ; officieusement, Ouest-France a été le plus gros acheteur français de matériel numérique en 2000. On ne sait jamais, un miracle est si vite arrivé. Quant au Télégramme, ce n’est plus un secret qu’il rêve d’avoir sa télé : le maintien sous perfusion de L’Hebdo, malgré son déficit, traduit sa volonté de maintenir une présence sur le marché nantais, entre autres à cette fin.

Si les journaux lorgnent d’abord sur la manne publicitaire, les politiques commencent à comprendre l’enjeu électoral, pardon : “De proximité”, de ces nouvelles chaînes. L’accès direct aux salons-télé des chers concitoyens, quel élu de quartier n’en a pas rêvé ? Jean-Marc Ayrault a pris langue avec les patrons d’Ouest-France et de la Socpresse, mais soutient discrètement l’initiative d’une bande de joyeux exaltés qui concoctent depuis plusieurs mois un projet de “service public” sur un canal numérique. Une cinquantaine d’inconscients, pros du web, journalistes, vidéastes et autres farfelus réunis autour d’une petite agence de pub nantaise** nous programment une télé bien de chez nous, afin qu’on n’ignore rien de la vie trépidante du club de belote du coin. Objectif : “Faire connaître au plus grand nombre les atouts et les acteurs de notre ville (…) et de ses environs”. Une bien belle idée comme on aimerait en voir plus souvent, qui sera présentée aux Nantais le 16 novembre au Lieu unique. Cette “télé d’un jour” veut lancer le débat à Nantes tout en se préparant à répondre à l’appel d’offre du CSA. Bientôt Nantes-Passion avec des images qui bougent ? Si ça se trouve, Lulu sera obligé d’avoir aussi son supplément TV.

Étienne Bougeotte

* L’expérience de télé locale à Rennes coûte une dizaine de millions de francs par an.
** La Lettre à Lulu se doit d’informer ses lecteurs que cette agence, Double Mixte pour les intimes, est aussi son partenaire technique (mise en page et infographie). Ce qui ne change rien à la recette du beurre blanc, mais il fallait que cela fût dit. Et non diffus.