Le cadavre du portefeuille a parlé
CIO pantin !
Superstitieuse, la banque nantaise a attendu treize ans avant de se laisser condamner pour des manipes foireuses.
Bon débarras ! Après treize ans de tracasserie et résistance acharnée, le Crédit Industriel de l’Ouest a fini par faire lâcher prise à un de ses anciens clients, un certain Dominique Sallé. Bien sûr, pour solder ce contentieux mineur, il a fallu payer le mauvais coucheur, et se soumettre à d’irrévérencieuses décisions de justice condamnant la banque à verser plus de 3,4 millions de francs à sa victime, sans compter les dépens, les frais de tribunaux et l’expertise. Mais pour une banque qui fait 161,5* millions de francs de résultat net (après impôts), qu’est-ce que cela ? Pourtant, pour finir par régler ce à quoi la banque a été condamnée, il a fallu que son ancien client menace de saisie du mobilier d’une succursale, et de péter un esclandre au siège à Nantes, pour débloquer tout en quelques heures.
Boursicote d’alerte
Tout démarre par un portefeuille d’actions hérité de son père, en 1984. Après une initiation aux petites opérations de bourse faite par la succursale de la banque à La Rochelle, Dominique Sallé, électromécanicien chez Roto-diesel, se montre assez doué et se passe vite des conseils du club d’investisseurs. Il boursicote tout seul, par minitel, et fait plus que doubler la valeur de son portefeuille. Mais la banque ne suit pas ce petit porteur trop rapide, elle cafouille, passe mal les ordres de son client, s’emmêle les crayons et l’informatique. Un expert commis par le tribunal a compté que la banque s’est plantée 48 fois en vingt mois, plus d’une erreur tous les quinze jours. Ordres non passés, ou exécutés à l’envers, comptes fermés utilisés à l’insu du client, oublis dans l’inventaire des titres, négligences et mauvais versements mènent rapidement le portefeuille à la ruine. La liquidation forcée est décidée autoritairement par la banque. Les valeurs sont vendues à la va-vite, au plus mauvais cours. Une liquidation totalement inutile, dira un expert auprès des tribunaux. Précipitation, initiatives malencontreuses, manœuvres tordues provoquent la déconfiture du client qui n’est pour rien dans ces tripatouillages désastreux plus maladroits que malhonnêtes. Pas très glorieux pour le CIO. Les prêts de secours, les hypothèques et les agios plombent définitivement Dominique Sallé. Pour faire face, il est contraint de vendre vite, et donc mal, une ferme, des terrains, des bois hérités de son père et dont il percevait quelques revenus de fermage.
En 13 ans, Dominique Sallé aurait dû être lessivé, devenir monomaniaque, passer pour fou et le devenir vraiment, se faire larguer par sa famille et finir par péter les plombs. Il s’est contenté de se faire des cheveux blancs et de tenir bon. Interdit bancaire, bouffé de dettes, il a même balancé des boules puantes dans une succursale du CIO. Il rumine depuis sa rage froide devant la morgue et la mauvaise foi du puissant établissement. Le manant ruiné ne peut opposer qu’une ténacité procédurière. Le CIO, qui a le temps pour lui, et les reins solides, pense avoir son ex-client à l’usure. La banque accumule les obstacles, les mesures dilatoires pour retarder les procédures imbriquées, complexes et infructueuses que doit lancer la victime.
Obstruction à l’instruction
Avant d’admettre ses cafouillages, plus de dix ans après, le CIO a prétendu que le pauvre bougre de client était victime de son incompétence. Élégant. Mais les différents experts démontrent le contraire. “Il semble que le CIO, qui ne discute pas l’appréciation de l’expert, ait surtout fait obstacle à la mission de l’expert”, dit le jugement du tribunal de Saintes du 3 avril 2001, évoquant “l’attitude fautive et les graves erreurs” du CIO. Rien que le préjudice moral subi par le client floué est établi à 800 000 F par les juges qui notent que “la situation d’endettement forcé pendant de nombreuses années a eu des conséquences particulièrement sévères tant au plan de la santé que de la situation familiale”. Le tribunal a fini par être tellement excédé par les demandes de reports d’audience à répétition des avocats du CIO et les manœuvres pour retarder l’expertise (jusqu’à refuser carrément de communiquer des pièces, prétendues perdues), qu’avant même de trancher sur le fond, le CIO a été condamné a verser une provision d’1,4 MF, “afin de dénier la voie de recours ouverte de tout caractère dilatoire”. Le temps n’a pas eu raison de l’irréductible petit porteur. Les tentatives de la banque de négocier comme des marchands de tapis les dédommagements fixés par les juges, ont même capoté. Le CIO se résout à payer après avoir, dernier sursaut, cherché sans succès à assortir le versement d’une obligation de réserve vis à vis de la presse**. Pour l’image de l’établissement, il ne faudrait surtout que ça se sache. Il est donc demandé de détruire cet article aussitôt après l’avoir lu.
* Chiffres du bilan 1999.
** Sollicitée une demi-douzaine de fois pour donner son point de vue, la banque n’a pas désiré répondre à Lulu.
Le CIO souteneur abusif
C’était en juin 2000 et l’affaire n’a pas été ébruitée au siège nantais de la banque. Gérant de fait d’une société dans la panade, le CIO est alors condamné pour soutien abusif par la Cour d’appel de Poitiers après le tribunal de la Rochelle. Ce qui oblige la banque à verser 3,2 millions de francs à la société Iso Roche, la moitié du passif de l’entreprise de bâtiment basée à Aytré. Le jugement souligne que la banque “a été gravement défaillante dans son obligation de conseil”, en créant “une apparence de solvabilité alors que l’activité (de l’entreprise) était irrémédiablement compromise*”. Avec un aplomb terrible, la banque avait refusé de payer la somme fixée par les juges, prétextant qu’elle risquait de ne pas récupérer ses sous si Iso-Roche perdait en cassation. “C’est bien la première fois que je vois un débiteur demander à son créancier de prouver sa solvabilité, avait dit l’avocat d’Iso Roche. Même pris la main dans le sac, la banque ne peut se départir de cette attitude dominatrice. Elle a commis une faute colossale, elle doit l’assumer”.
* Sud-Ouest des 13 et 24 juin 2000.