Chasse au serf chez les rupins

Publié par lalettrealulu le

Carquefoutmoilecamp

Corvéable pour pas un rond contre le prix de son toit, la concierge de la résidence de luxe devrait se considérer comme bien lotie. Et pas protester quand on la met à la porte.

Elle date du temps du château. Éliane Dupé est née ici un an avant que la moindre demeure ne sorte de terre. Son grand-père était métayer du châtelain du Housseau, à Carquefou. Depuis 1966, le domaine est devenu un joli parc de verdure pour gens huppés avec 239 grosses maisons qui se vendent aujourd’hui comme des petits pains entre 300 000 à 450 000 euros. Neuf kilomètres de rues privées aboutissent toutes à la conciergerie. Le sénateur – maire Gisèle Gautier y a sa masure comme l’ancien footballeur Gaby de Michelle. Quand le domaine a été vendu, l’ancien métayer est devenu salarié de la copropriété, logé sur place, dans le corps de ferme qu’il a toujours occupé. En 1994, sa petite-fille Éliane reprend le contrat de travail, reste dans les lieux avec sa mère qui a aujourd’hui 64 ans, handicapée à 80 %. Éliane joue le rôle de gardienne, réceptionne avant 8 h du mat’ les colis de ce beau monde, encaisse les courts de tennis, recoud le filet, ramasse bouteilles, feuilles et glands sur les deux courts, tond les pelouses trente fois par an (c’est sur son contrat), relève les grillages, charrie des brouettes de feuilles mortes. Son temps dépasse largement les termes du contrat. Pingres, les copropriétaires ne paient aucune heure sup. Du coup, Éliane doit faire des ménages, chez ces gens propres sur eux qui veulent être propres chez eux.

Elle a commencé très tôt « au service du Housseau », en gardant leurs mômes. Ces braves bourgeois ont réussi l’entourloupe de transformer le salaire du grand-père (2 700 F en 1994) en opération blanche. Désormais, ils ne déboursent rien, le temps travaillé de la gardienne est réduit à un revenu zéro, contre le loyer du potager et de l’ancienne ferme. Deux pièces chauffées, le reste en chambres froides. Le grand-père avait le treizième mois. La petite-fille au salaire zéro n’y a pas droit. Elle paye l’eau, le gaz, l’électricité, les impôts locaux. Les fonctions de concierge ne sont évaluées qu’au tiers du smic, mais aussi le boulot de jardinier à tout faire. Faut comprendre, les temps sont durs chez les rupins.

Très embarrassé, le président de l’association des copropriétaires, Claude Ménard bredouille : « Mademoiselle Dupé ne peut pas faire la taille des haies, l’entretien des tennis. Mais personne n’est clair dans cette histoire. Notre contrat de travail n’est pas très légal ». Contrairement à la convention collective des jardiniers, l’employeur a ici surévalué le loyer, cinq fois et demi au dessus de la valeur légale.

Les résidents du Housseau veulent la maison d’Éliane Dupé pour y loger un jardinier-vigile qui fasse tout, de la tondeuse au coup de fil aux gendarmes si un lapin rode trop près. Avec à la clé, le terrain récupéré comme parcelle constructible. On propose à Éliane Dupé un nouveau contrat de travail, plus restrictif. Elle demande des rectifications, l’application des lois du travail. Fin mars, les copropriétaires décident de la virer. Quelques pressions et reproches bien sentis cherchent à la faire craquer.

On lui dit qu’elle doit être disponible 24 heures sur 24, sinon « la porte !» Quand des visiteurs pointent leur BMW en quête de renseignements, elle n’est pas toujours là, puisqu’elle passe l’aspirateur chez ces bons paroissiens…

Mais le président dit vouloir éviter le licenciement (qui la rendrait aussitôt expulsable). Eviter les prud’hommes, le déballage. Préférer une transaction, proposer royalement un an de salaire pour solde de tout compte. Ce qui ne représente que cinq fois le smic. Le président préfère l’euphémisme : « On a décidé de se séparer. La situation ancienne, avec le grand-père, c’était du tope-là !, du familial. Aujourd’hui nous ne sommes pas satisfaits du service ». Triste époque, cher ami, où se fait si rare le petit personnel dévoué à ses maîtres.

Rémi Zérab