Cellules bondées : réservez à l’avance !
C’est vraiment la bonne franquette. Presque une ambiance de colonie de vacances. Lits superposés et matelas au sol, voilà ce que propose en pension complète la vieille taule de Nantes.
La taulière n’est pas du genre à survendre le standing de son établissement. Karine Vernière, directrice de la maison d’arrêt de Nantes est très statistique : « On compte environ 3 détenus par cellule – 6 ou 7 dans celles prévues pour 4 – avec un seul lavabo, une seule toilette. Et vous devez partager ça 20h/24h. Vous imaginez ce que ça peut signifier en termes de vie ? Et tous ces phénomènes de surpopulation ne nous aident pas à assurer la protection des détenus les plus fragiles.»* Depuis peu, pour éviter l’entassement, des matelas par terre, des lits superposés ont été montés à la maison d’arrêt. Sans échelle, sécurité oblige. Et tant pis pour les plus âgés, de plus en plus nombreux, incapables de se hisser. « Quand vous êtes avec d’autres détenus sympas, ça va, ils vous laissent le lit du bas ou vous aident à monter, sinon…». Heureusement, en France, on ne peut tenir l’État pénalement responsable de telles conditions d’accueil contraires à la dignité. Ben ouais, quoi, l’État condamné, il irait où, en taule ?
La maison d’arrêt est une grande école de tolérance. On y apprend à accepter la fumée de ses co-détenus, les programmes télés en continu, la musique, le bruit incessant, sans parler des petits coins à la vue de tous. Au quotidien, la vie peut vite devenir un enfer. Outre les problèmes de promiscuité, de bruit constant et de cohabitation forcée, la surpopulation carcérale pose aussi d’autres problèmes que l’entassement car l’effectif des surveillants et travailleurs sociaux n’a pas bougé. Les règles de sécurité étant les mêmes, il a fallu s’adapter. Au menu : suppression ou régime minimum pour les parloirs, impossibilité de suivre des cours faute de place, liste d’attente pour les soins médicaux, etc. Condamnés majoritairement à de courtes peines (6 mois en moyenne) les détenus de la maison d’arrêt, stakhanovistes de l’inactivité, poireautent en attendant la fin de leur peine ou leur comparution devant le tribunal. Avec tout ça, on se demande pourquoi certains se laissent tenter par la récidive.
Ordinaire ou super
La loi carcérale n’est pas toujours dictée que par l’administration pénitentiaire. La vie quotidienne à l’ombre n’est pas la même avec du fric de côté ou rien devant soi. D’où tensions, agressivité et vols qui ne sont même plus signalés par les victimes, tant ces scènes banales émaillent le quotidien des détenus. Pouvoir « cantiner » (s’acheter l’ordinaire), c’est aussi s’assurer de quoi améliorer le quotidien. Et protéger ses arrières. Pour ceux qui n’en ont pas les moyens, « les indigents », la Croix rouge accorde des bons de vingt euros par mois. Une somme ridicule en comparaison du coût moyen d’une incarcération : 183 euros par mois selon un rapport du Credoc. Vingt euros, ça ne suffit pas à se payer des cigarettes, du nescafé ou louer une télé. Au point que les cas d’endettement sont nombreux et les règlements de compte fréquents. Pour y échapper, les plus faibles refusent les promenades, demandent à être placés volontairement à l’isolement. Difficile à gérer pour le personnel pénitencier qui doit en plus composer avec les sensibilités des détenus avant d’attribuer une cellule à un nouvel arrivant. Les blacks avec les blacks, les tsiganes entre eux et les arabes aussi, pour tenter de garder en échange une paix sociale. C’est déjà assez cocotte-minute prête à exploser comme ça !
Permis à pointeurs
Si la maison d’arrêt nantaise qui regroupe les petites peines et les enfermés en attente de procès est notoirement bondée pour que tout le monde se tienne chaud, le centre de détention de Nantes qui accueille les condamnés à de fortes peines, n’est pas surpeuplé : à trois par cellule, ça pourrait passer pour confortable. Sauf il y a six mois, lorsqu’il a bien fallu désengorger la maison d’arrêt où étouffaient quatre à cinq personnes enfermées 20 heures sur 24 dans des cellules de 9 m². Pestiférés d’entre tous, les taulards les plus méprisés sont « les pointeurs », violeurs et condamnés pour agressions sexuelles. Premiers exposés aux violences entre détenus, ils cristallisent toutes les haines, coups, insultes et actes de barbarie. Parfois contraints de cantiner pour les autres. Parfois jetés sournoisement en pâture par des matons haut parleurs qui n’hésiteraient pas à « balancer » leur nom dans les couloirs de la prison.
Au centre de détention de Nantes qui accueille 450 détenus, les cellules restent ouvertes en journée jusqu’à 17 h 30 et les condamnés disposent même de leur propre clef. Le bâtiment D appelé « étage des vieux » regroupe les détenus de 65 à 90 ans ! Certains sont entièrement livrés à eux-mêmes ou partiellement pris en charge par une âme charitable, en général un autre détenu.
L’imparfait de la conditionnelle
Le bâtiment E est un espace réservé aux arrivants fraîchement condamnés et qui ont obligation d’y séjourner 15 jours le temps d’y apprendre les règles intérieures. Un peu plus loin, le bâtiment G est peuplé de détenus modèles, plus proches de la sortie et qui, pour beaucoup, ont un emploi. Et enfin au cœur du centre de détention, le bloc F comme « Femmes » renferme une trentaine de détenues complètement isolées du reste de la population carcérale. Ces femmes sont en transit. Après leur procès, c’est la liberté ou un aller simple pour le centre de détention de Rennes. À Nantes, le centre de détention a la réputation d’accorder peu d’aménagements de peine. Pas un motif de gloire locale : selon Véronique Vasseur, ancien médecin chef de la Santé, les conditionnelles ont chuté de moitié en vingt ans.
Étape importante pour une réinsertion, les conditionnelles et les permissions sont distillées aux compte-gouttes. Pire, l’application de la loi Kouchner permettant de libérer les détenus atteints de maladies incurables n’est envisagée que depuis peu à Nantes. Moralement brisés, ces mêmes détenus s’effondrent avant de basculer dans la dépression, la mélancolie et au bout du compte le suicide : 3 ou 4 décès par an par pendaison ou injection médicamenteuse, voire assez souvent par automutilation. Aucun chiffre sur le nombre de tentatives n’est à ce jour connu.
Travail que vaille
Officiellement, le travail permet au taulard de conserver un lien avec la vraie vie ou, pour la première fois, d’occuper un boulot inaccessible à l’extérieur. Important aussi, le petit pécule perçu du fruit de son labeur permet d’assouplir les conditions carcérales en « cantinant » et de mettre de l’argent de côté en prévision de la sortie. Pour les employeurs aussi, le travail en prison est une vraie aubaine : l’Inspection du travail n’a pas pouvoir ni droit de regard, sauf question santé et sécurité. La rémunération des embastillés, le SMAP (salaire minimum de l’administration pénitentiaire) tourne autour de 180 euros par mois pour 6 heures par jour. Peu bavardes et tremblantes pour leur image, les marques pourvoyeuses de boulot rechignent à s’étendre sur un sujet déjà largement épinglé par le Sénat en juin 2002. Le hic, c’est que ces petits boulots en cage ne respectent pas vraiment le sacro-saint principe des flux tendus, note un observateur de l’administration. Les camions de collecte des produits, sachets, parfums, cartonnages, ne rentrent pas jusqu’à l’atelier quand ils veulent.
La prison peut servir aussi à se refaire miraculeusement une virginité sociale. Les sans papiers, interdits de travail en liberté, peuvent en revanche bosser avec la bénédiction de l’institution dès lors qu’ils sont derrière les barreaux. Une avocate nantaise le confirme en évoquant le cas de son client sans papiers, en attente de dossier à l’Ofpra (Office français pour les réfugiés et apatrides) et occupant un travail à la maison d’arrêt. L’OIP* rappelle qu’actuellement environ 390 à 410 détenus s’y entassent selon les semaines, alors que l’établissement est prévu pour en accueillir 292.
Si le séjour vous tente, méfiez-vous en réservant. La maison pratique le surbooking systématique.
* Propos tenus le 22 novembre, lors de la 10e journée nationale des prisons organisée par un collectif d’associations de Loire-Inférieure.
** L’Observatoire international des prisons a rendu fin octobre son rapport sur l’état des lieux en France. Pas glorieux… OIP Nantes ; 42, rue des Hauts Pavés 44000 Nantes Tél. 02 40 29 22 04.