Bataille grangée à La Chapelle
La ferme !
Magie : Parti communiste et permis de construire ont les mêmes initiales. Mais Parti socialiste et passe-droit, non.
Travailler avec un frangin, c’est pas de la tarte. Version paysanne de Romulus et Rémus à La Chapelle-sur-Erdre, à la ferme laitière de la Panetière où les frères Lebossé ont été associés dans un GAEC*. Clément Lebossé est plutôt jovial, bon vivant, l’âme militante, tendance joséboviste. Son frère Jean-Noël est du genre ombrageux, obstiné, branché pouvoir, genre loup solitaire : pas le meilleur profil pour œuvrer en association dans un GAEC, que Jean-Noël finit par quitter. La séparation se passe mal et laisse des traces dans les relations entre frangins et avec les associés du GAEC, surtout qu’ils restent voisins. Jean-Noël a repris l’exploitation de terres à 5 km de là en gardant son logement de fonction en bordure du GAEC, avec quelques dépendances dont une grange en pierre assez mochedingue. Il est aussi un notable local. Depuis 1995 sur la liste du maire socialiste Gérard Potiron, il est devenu en 2001 conseiller municipal communiste en charge des affaires agricoles.
Début mai 2003, Clément hallucine : un tractopelle démolit la grange en pierre (mochedingue, on l’a déjà dit). Après enquête rapide, les associés du GAEC apprennent que quatre mois avant, en janvier, Jean-Noël a obtenu un permis de construire pour transformer cette grange en maison à louer. Le panneau de chantier obligatoire n’a été affiché qu’une huitaine de jours avant la démolition. De nombreux articles du Plan d’occupation des sols, du Code de l’urbanisme, et du Code rural sont bafoués. Surtout, le logement créé sera à moins de 35 m de la stabulation libre du GAEC. Le code rural impose 100 m minimum pour édifier des bâtiments d’habitation à côté de ce genre d’installation qui ne sent pas que la rose. Aucun permis de démolir n’a été accordé. Au service urbanisme de la mairie, on explique qu’un pan de mur se serait effondré en déposant la charpente et qu’il fallait dégringoler tous les murs. Au GAEC, on montre des photos du tractopelle en pleine action. Faudra peut-être avoir recours à une autopsie des murs pour établir les mobiles du forfait…
Alerté par les rebelles du GAEC, le maire Gérard Potiron fait mine de ne pas percevoir qu’il est hors-la-loi (tout comme Jean-Marc Hagimont, son adjoint à l’urbanisme), en octroyant ce permis de construire à son conseiller subdélégué à l’agriculture. Le maire entraîne les mécontents dans une longue suite de recours en tous genres. Histoire de gagner du temps, tout en stigmatisant la querelle familiale qui tombe à pic pour cacher la responsabilité des élus. Les paysans du GAEC finissent par comprendre qu’on les mène en bateau. Pas très partants pour la croisière, ils imposent des escales au tribunaux administratif et de grande instance.
Pour quelques observateurs du coin, l’affaire est claire : “Sous des dehors bonhommes, Potiron tient la municipalité d’une poigne d’acier. Force montante à La Chapelle, les écolos gênent. Au premier tour des cantonales de 2001, le candidat écolo a dépassé 20 %, faisant presque jeu égal avec le socialiste qui a été élu au second tour. Avec 2,5 %, le communiste était complètement laminé. Pour contrer ses alliés les plus dynamiques qui risquent de lui faire de l’ombre, Potiron a obtenu l’aide de Jean-Noël Lebossé et des communistes dotés d’un nombre d’élus particulièrement démesuré en rapport à leurs scores électoraux”. L’affaire du permis de construire viendrait donc prolonger cette alliance de circonstance. Comme un renvoi d’ascenseur avec des belles retombées lucratives possibles, tout bénéf pour Jean-Noël Lebossé. Avec tous ces jeux d’ascenseur, il faut veiller à ne pas rester coincé dedans.
* Groupement agricole d’exploitation en commun.