Condamnation ferme ou avec survie

Publié par lalettrealulu le

Intaulérable

Y’a du monde dans l’gnouf. L’expertise sur la surpopulation à la maison d’arrêt de Nantes a quand même trouvé un mètre carré et des poussières pour que chaque taulard puisse bouger un demi-bras.

C’était gros comme une maison d’arrêt : on a réussi à écœurer l’expert. Commis par le tribunal administratif, Alain Taveneau, architecte dans le civil, a emmené son double mètre et son calepin dans la maison d’arrêt nantaise. Six détenus avaient mis en cause la promiscuité en cellule. Ces ingrats veulent faire condamner l’État français, pour non respect de ses propres règles d’hygiène et de salubrité. Ces détenus, maltraités en tant qu’usagers d’un service public, pourraient attaquer l’État en justice.

On ne sait où il a pêché pareil concept, mais l’expert n’a pas pu s’empêcher de parler d’être humain : “La mission de l’expert est limitée à une description des faits. Cependant, dans certaines circonstances particulières, se taire est une lâcheté. Je dois donc exprimer mon opinion, au nom de l’éthique : l’encellulement forcé de six personnes dans des cellules de moins de 20 m2 est révoltant et indigne.” Il ajoute que “la promiscuité excessive pourrait être une torture invisible produisant des déstructurations encore plus profondes du psychisme”. Et à propos de la privation de travail dans la prison pour ceux qui attendent des procès d’assises : “Dès qu’un être humain a un rôle à jouer, sa vie s’éclaire.” Voilà une idée pour économiser les ampoules des cellules.

Mètre ou ne pas mètre carré

La taule déclenche son tollé. Il a mesuré l’espace disponible pour se mouvoir, une fois décomptée la place prise par les deux lits, souvent à trois niveaux depuis octobre 2003, le lavabo, le chiotte et le mobilier. Dans une des cellules étudiées, il reste pour marcher 1,19 m2 par détenu. “Nous n’avons pas connaissance, dans nos sociétés modernes, d’espaces de vie aussi réduits”, hormis les refuges de haute montagne, les cabines de voilier ou de sous-marins, et encore, on y est volontaire. Passons sur “l’air insuffisant” et le “confinement malsain”. Les taulards n’ont qu’à s’entraîner à l’apnée.

Ici, on entasse entre 340 et 420 détenus, et jusqu’à 40 dormant sur un matelas par terre. En fait, la prison a été conçue à la fin du XIXe siècle pour deux détenus par cellule. Il y a 20 ans, ils étaient quatre. Et aujourd’hui sept, avec deux lits triples et un matelas au sol (“une indignité, envisagée comme presque normale par la direction de l’établissement”). Insensibles à cette évolution, les murs, eux, ne se sont pas dilatés d’un centimètre. “Les troubles du sommeil sont quasiment constants pour une majorité de détenus en raison du bruit et de la promiscuité”, note le toubib de la maison. L’intimité du chiotte, qui n’est séparé des regards que par une simple paroi, fait subir odeurs et bruits à tous les autres compagnons de cellule. Certains s’en rendent malades, se constipant volontairement pour éviter l’humiliation. “Des toilettes fermées et convenablement ventilées doivent être, en 2004, une exigence minimale due à tout être humain”, écrit l’expert.

Surbooking

La surpopulation rend impossible de protéger les jeunes ou même de séparer condamnés, prévenus et détenus soumis à la contrainte par corps, premières peines et récidivistes. Sans parler des fumeurs et non-fumeurs. Les attentes avant un parloir, sont aussi longues que le temps passé dans ce parloir. La peur de se faire racketter et de se faire casser la gueule mène des détenus à se priver de promenade. La surpopulation réduit tout, la fréquence des parloirs, les accès de chacun à la salle de sport, les possibilités de travailler. Ceux qui bossent ne risquent pourtant pas de payer l’impôt sur la fortune. Pour deux à trois jours par semaine à étiqueter des flacons, faire du conditionnement ou du pliage 6 à 7h30 par jour, on peut, payé à la pièce, glaner 100 euros les meilleurs mois. Et la réparation aux victimes est déduite à la source.

Autre effet du surbooking : le service de probation et d’insertion pénitentiaire n’a pas le temps de traiter les dossiers. Au centre pénitentiaire, le patron du service ne respecte plus la loi : il ne fait plus de demande de CMU, la couverture médicale universelle. Ceux qui ont besoin de soins, particulièrement aux dents, ne peuvent plus se faire soigner.

Pour humaniser ces cellules bondées, il faudrait accroître le volume disponible à chaque taulard. Suffirait de glisser sous la porte un bon mètre cube d’air comprimé.