Un bronze astiqué à la Briantine
Greffe générale
En faisant réaliser une statue en bronze d’Aristide Briand, pour érection place du même nom, on triche un brin avec l’histoire. Il était petit de taille, portait même des talonnettes à ses godasses pour soigner son complexe, mais sa sculpture fera 2,20 m de haut. C’est un minimum pour un grand homme. Jadis historien du prolétariat version guerre des classes, aujourd’hui adjoint à la culture PS bon teint, Yannick Guin a demandé au sculpteur de représenter Briand jeune, du temps où il était un fervent partisan de la grève générale. Pourtant l’adjoint repenti veut retenir “l’homme de négociation et de compromis, celui du Cartel des gauches et de la Société des nations”. En 1976, quand le même Yannick Guin publiait chez Maspéro Le Mouvement ouvrier nantais, très admiratif du syndicalisme d’action directe, le carriérisme d’Aristide Briand était alors vilipendé par l’historien qui écrivait : “Aussi l’arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil, assisté de Briand et de Viviani, correspond à un changement de tactique : place à la corruption, place à la répression.” Mais Guin semble avoir tourné la page. Briand est devenu un saint fondateur de l’ancêtre du PS avec Jaurès. C’est ça qui compte. Hélène Defrance, élue Lutte Ouvrière, expose au conseil municipal son impossible vénération d’un Aristide Briand participant à un gouvernement qui fait fusiller les ouvriers à Villeneuve-Saint-Georges. Et justement, cette répression sanglante, quatre morts et des centaines de blessés, a été mémorisée par une affiche terrible de Jules Grandjouan en 1908, reproduite dans le journal municipal Nantes Passion lors de l’expo consacrée au dessinateur et affichiste. En exergue, Grandjouan avait inscrit une citation de 1899 de Briand, du temps où il n’avait pas renié sa défense des ouvriers : “Allez à la bataille avec des piques, des pioches, des pistolets, des fusils : loin de vous désapprouver, je me ferais un devoir, le cas échéant, de prendre une place dans vos rangs.” Le tout au-dessus des coups de sabre sanglants des dragons, ancêtres des CRS. Yannick Guin rétorque que Briand n’était pas en charge du ministère de l’Intérieur. Et que le fusilleur, c’est Clemenceau. Il est donc temps de débaptiser le lycée Clemenceau. Et si Briand est aussi couvert de sang, prévoir quelques pansements pour la statue.Texte